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une excessive prudence. En France, on trouverait encore dans beaucoup de maisons, dans les tiroirs des particuliers, des réserves métalliques plus ou moins fortes en dehors de celles que possède notre principal établissement financier. Cela est quelquefois avantageux, et nous a servi notamment en différentes occasions à traverser les crises plus heureusement que nos voisins; mais cette situation est en train de se modifier, il est facile de le voir à l’augmentation sensible des comptes courans. Depuis deux ou trois ans, ils ont passé du chiffre de 200 millions en moyenne à celui de 400 millions, et on peut en conclure que l’encaisse est d’autant plus fort à la Banque qu’il est moindre dans le pays. Les 1,222 millions qui le composent ne sont donc pas au fond aussi considérables qu’ils en ont l’air, d’autant plus qu’ils sont représentés dans le pays par une quantité de billets qui dépasse de beaucoup les limites ordinaires. Au moindre souffle qui viendrait ranimer l’activité commerciale, on les verrait disparaître et se répandre bien vite dans les mille canaux de la circulation. On n’a pour s’en convaincre qu’à les rapprocher du chiffre des capitaux qui sont engagés dans les opérations commerciales, de ce qui constitue le fonds roulant de la société française. Supposez que ce chiffre soit de 50 milliards, et il peut être plus élevé, les 1,200 et quelques millions de l’encaisse n’en sont guère que la quarantième partie; une reprise d’un dixième seulement dans les affaires ferait plus que de les absorber; il faudrait recourir encore au crédit. Du reste veut-on avoir la preuve décisive que, s’il y a pléthore monétaire en ce moment à la Banque de France, c’est un résultat momentané qui n’a rien de commun avec une surabondance des métaux précieux; il suffit de consulter les prix de toutes choses, ils sont aujourd’hui en général au-dessous de ce qu’ils étaient il y a quatre ou cinq ans, lorsque l’encaisse de la Banque était descendu à 200 millions, et ils n’ont pas de tendance à la hausse. C’est le contraire qui aurait lieu, s’il n’y avait pas là une situation exceptionnelle dont chacun attend et prévoit la fin.

Cette situation a beaucoup d’analogie, sauf la différence des proportions, avec ce qui se passait en 1850 et 1851. À ce moment aussi, il y avait à la Banque une réserve métallique considérable; elle atteignait 600 millions, et dépassait le chiffre de la circulation fiduciaire, qui était de 500 et quelques millions. On pouvait croire à une abondance relative de métaux précieux, ce qui n’empêchait pas les prix d’être également très en baisse sur ceux de la période précédente. Deux ou trois ans après, les affaires reprirent, l’encaisse diminua sensiblement, et le numéraire devint tellement insuffisant qu’il fallut, pour en conserver, élever l’escompte à des taux inusités; ce fut seulement alors que le prix général des choses