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demeurèrent longtemps confinées dans la famille ; la religion eut un caractère domestique ou tout au plus patriarcal qu’elle a souvent encore dans le Vêda.

Il n’en fut plus de même lorsque les peuplades errantes se fixèrent dans leurs pays respectifs, et y formèrent des communautés sociales et politiques. Les chefs religieux commencèrent presque partout à se rapprocher les uns des autres et à se réunir dans des lieux déterminés. Dans l’Inde, ce fut principalement au bord de certains lacs et au confluent de certaines rivières ; en Grèce, des motifs pour la plupart inconnus les amenèrent vers quelques lieux restés célèbres, à Dodone, à Délos, à Delphes, à Olympie et ailleurs. Là où les causes que j’ai précédemment signalées poussèrent les peuples vers l’unité des doctrines, ces centres de réunion virent les esprits d’élite mettre leurs théories personnelles en face les unes des autres, les discuter, les rectifier, les étendre, et, tombant enfin d’accord, constituer des dogmes, communs. Comme la base du culte était d’ailleurs la même pour tous depuis que le feu était devenu la chose sacrée, les deux élémens de la religion se trouvèrent également adoptés dans chaque peuple par toute une communauté d’hommes : le dogme et le culte prirent un caractère public et national.

Il est donc hors de doute que les orthodoxies n’ont pas apparu subitement sur la terre, mais qu’elles ont été l’œuvre du temps. Lorsque les chefs de famille se rapprochèrent et s’entendirent pour l’établissement de dogmes communs, c’est alors seulement que se forma entre eux cette communion de doctrines et de culte à laquelle les Latins ont donné le nom de religion. Ce mot en effet signifie non pas le lien de l’homme avec Dieu, comme on se plait à le dire très faussement, mais le lien qui réunit plusieurs hommes dans un même système de dogmes et de cérémonies sacrées ; il est donc en ce sens presque synonyme d’orthodoxie, seulement cette dernière expression renferme une idée d’exclusion sur laquelle nous devons nous arrêter. Quand une opinion se déclare droite et vraie, cela signifie que toute opinion différente n’est ni dans l’un ni dans l’autre cas. Une telle déclaration de principes embrasse non-seulement la doctrine-fondamentale, mais encore le rite sacré d’où elle est née et les symboles, qui la représentent. L’orthodoxie porte alors sur tous les élémens de la religion. Il peut y avoir des religions sans orthodoxie, ou dans lesquelles l’orthodoxie est moins rigoureuse que dans d’autres : ce sont celles où une certaine latitude est laissée aux dévots dans l’interprétation des théories abstraites et métaphysiques ; tel fut pendant des siècles le brahmanisme, telle a été la religion de l’ancienne Grèce, et telles sont encore à beaucoup d’égards la plupart des sectes protestantes. Quand l’orthodoxie porte sur les