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ce serait casser les vitres[1]. » Nous doutons beaucoup que l’empereur ait tenu le premier de ces deux propos. En tout cas, ces menaces de mort, s’il les laissa échapper de sa bouche, n’étaient pas bien sérieuses, et n’avaient probablement d’autre but que d’effrayer ceux contre lesquels elles étaient dirigées. Grâce à Dieu, nous n’en sommes point réduit aux conjectures pour connaître l’impression réellement produite sur l’empereur par la rétractation du pape et les mesures qu’il songea immédiatement à prendre, car nous avons sous les yeux sa lettre adressée le jour même à M. Bigot de Préameneu. La démarche de Pie VII dérangeait de fond en comble tous les desseins de l’empereur. Il avait espéré laisser derrière lui, au moment d’entrer en campagne contre la Russie, un pontife résigné à son sort, sinon pleinement satisfait de sa nouvelle position. Il avait compté sur le nouveau concordat pour lui ramener au dedans l’affection maintenant décroissante du clergé français et de ses sujets catholiques, pour maintenir et fortifier au dehors l’alliance désormais assez problématique de l’empereur d’Autriche. De ce beau rêve un moment entrevu, il ne restait plus rien. Tout le bénéfice de l’effort tenté à Fontainebleau lui était soudainement enlevé. Voir ses calculs déjoués, reculer devant son adversaire, dévorer un affront, s’avouer vaincu, cela était bien nouveau pour Napoléon. Que faire cependant? — Rompre publiquement avec le pape comme le pape rompait publiquement avec lui, répondre à la lettre pontificale par un message au sénat, l’idée lui en vint certainement. Il avait ainsi agi autrefois lorsque, fier de sa toute-puissance, il se plaisait dans les coups d’éclat; mais un éclat aujourd’hui aurait tout compromis, et ce n’est plus à lui qu’aurait profité l’appel adressé à l’opinion publique. L’empereur le sentait parfaitement sans vouloir se l’avouer à lui-même, et c’est pourquoi il résolut de regarder la protestation du pape comme non avenue. Il fallait en faire un mystère à tout le monde, surtout aux ecclésiastiques de son empire. C’est dans ce sens qu’il écrit à M. Bigot. « Le ministre des cultes gardera le plus grand secret sur la lettre du pape du 24 mars, que je veux, selon les circonstances, pouvoir dire avoir ou n’avoir pas reçue. Il écrira aux évêques que, vu la semaine sainte et les devoirs qu’ils ont à remplir dans leurs diocèses, il est convenable qu’ils s’y rendent, hormis les évêques de Nantes et de Trêves, qui, en leur qualité de conseillers d’état, se rendront à Paris pour le conseil[2]. » Pendant qu’il s’occupe ainsi des évêques de son empire, l’idée lui vient qu’il pourrait utilement les employer à faire des remontrances au saint-père, et tout aussitôt il développe à cet égard un plan fort

  1. Œuvres complètes du cardinal Pacca, t. Ier, p. 335.
  2. L’empereur au ministre des cultes, 25 mars 1813. (Cette lettre n’est pas insérée dans la Correspondance de Napoléon Ier .)