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mission antérieure. De la part du courageux prélat, cet acte de condescendance momentanée aux volontés impériales parut si singulier que la plupart des chanoines de Gand, quoiqu’ils reconnussent son écriture, ne voulurent pas d’abord y croire. Il y eut scission dans le chapitre ; mais le pape, consulté à Fontainebleau, ayant fait savoir par l’intermédiaire du cardinal Gabrielli qu’il approuvait la conduite de ceux qui tenaient pour leur ancien évêque, le nouveau titulaire de Gand, M. de La Bruce, ne put réunir autour de lui que trente prêtres à peine sur les douze cents que l’on comptait alors en Flandre[1].

Cependant une circonstance malheureuse avait ajouté à l’agitation des esprits. C’est l’usage à la cathédrale de Gand que le supérieur du séminaire assiste à l’office avec un certain nombre d’élèves en théologie. Les vicaires partisans de M. de La Bruce avaient exigé pour le dimanche 25 juillet 1813 l’accomplissement de cette formalité. Ce jour-là, le chœur se trouva vide ; ni professeurs ni élèves ne voulurent s’y présenter. Dès le soir même, le vicaire-général de M. de La Bruce sommait les jeunes gens du séminaire de se ranger à leur devoir ou d’avoir à quitter l’établissement. « Nous partons tous, s’étaient-ils écriés, et nous serons plutôt bons soldats que prêtres schismatiques. » Il aurait été sage de ne pas pousser les choses plus loin. Le préfet jugea au contraire à propos d’ordonner l’arrestation du supérieur du séminaire, et de placer les professeurs sous la surveillance de la police. Quant aux élèves qui persistaient à méconnaître l’autorité de M. de La Bruce, une trentaine furent désignés pour entrer dans la garde impériale de Paris, les autres incorporés dans la garde départementale de Bruges. Chose incroyable, Napoléon, qui avait reçu aux environs de Dresde un rapport détaillé sur cette échauffourée des séminaristes de Gand, ne trouva pas encore assez sévère le châtiment qui leur avait été infligé. C’était les traiter avec trop d’indulgence que de les admettre dans des corps d’élite ou de les laisser séjourner dans leur pays. Il ordonna qu’ils fussent tous immédiatement enrégimentés dans une brigade d’artillerie et dirigés sur Wesel, où bientôt une cinquantaine d’entre eux périrent victimes des maladies contagieuses qui décimaient dans ces contrées les garnisons fournies par les jeunes recrues de l’armée française. Les séminaristes que des infirmités corporelles rendaient impropres au service des armes n’échappèrent point pour cela à la vengeance du chef de l’empire ; ils furent conduits à Paris par des gendarmes et enfermés à Sainte-Pélagie. « Enfin, sans s’apercevoir qu’on flétrissait le nom de la garde d’honneur, dit le chanoine de

  1. Notice historique sur M. de Broglie, p. 26, Gand 1843.