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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 82.djvu/988

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Rome serait, je crois, nécessaire à votre bonheur[1]. » Cette lettre arrivait à Dresde à peu près en même temps que la nouvelle de la mort de M. Duvoisin, vers le milieu de juillet. Napoléon se rendait alors à Mayence, où il avait mandé l’impératrice. Enflé de ses récens succès, plein de l’espoir que l’armistice, qu’il s’efforçait alors de prolonger, lui donnerait les moyens de courir bientôt à de nouvelles victoires, il ne dédaigna point d’accorder un témoignage public d’estime à la mémoire de cet évêque en ordonnant qu’un mausolée lui fut élevé dans la cathédrale de Nantes[2]; mais, quant à l’avis donné avec tant d’autorité par le prélat moribond dont le dévoûment ne lui avait jamais fait défaut, il ne lui convint point d’en tenir compte. Que signifiaient pour lui l’opinion de la chrétienté, les vœux des évêques de son empire, dont on prenait si mal son temps pour le vouloir entretenir? Battre ses ennemis et revenir triomphant à Paris, voilà ce qui importait en ce moment. Il saurait bien obliger la chrétienté et les évêques de France à en passer par tout ce qu’il lui conviendrait de prescrire, quand il aurait vaincu les perfides Prussiens et rejeté de l’autre côté du Niémen les hordes sauvages de la Russie. Telles étaient les espérances qui exaltaient en juillet 1813 l’orgueil du vainqueur de Lutzen et de Bautzen, alors qu’il rêvait de nouvelles batailles à livrer et de nouveaux sacrifices à exiger de ses ennemis; mais, hélas! quatre mois après, c’étaient les Prussiens et les Russes qui s’avançaient en vainqueurs sur les bords du Rhin, et c’était lui qui, de nouveau vaincu, rentrait presque en fugitif dans sa capitale, laissant au loin derrière lui les débris désorganisés de cette armée naguère si péniblement réunie.

Il n’y avait plus d’illusion à se faire, le moment fatal était venu où il s’agissait pour Napoléon de faire un suprême effort et de lutter, non plus pour la domination, mais pour le salut. M. Thiers a merveilleusement raconté dans son dix-septième volume comment le chef de l’empire redoubla d’énergie pour tâcher de grouper autour de lui tout ce qu’il lui restait de soldats disponibles et se mettre à leur tête contre l’invasion étrangère. Il nous a non moins vivement dépeint les hésitations, les craintes, le sourd mécontentement de notre malheureux pays, tenu pendant si longtemps à l’écart de ses affaires, jusque-là si peu consulté, si ouvertement dédaigné, endormi, il y avait une année à peine, dans des rêves de gloire et de conquêtes, et tout à coup sommé par l’unique auteur de tant de grandeurs passées et de tant de ruines maintenant imminentes, d’avoir à lui livrer, sans discussion et sans retard, son dernier homme et son

  1. Mémoires historiques sur les affaires ecclésiastiques de France (M. Jauffret), t. II, p. 527.
  2. L’empereur au comte Bigot de Préameneu, Dresde, 17 juillet 1813. — Correspondance de Napoléon Ier, t. XXV, p. 489.