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y a quelques mois, pendant la discussion qui se poursuit en Belgique au sujet du travail des femmes dans les houillères, un médecin qui voulait que l’on fermât aux ouvrières non-seulement les mines, mais encore les usines de toute sorte, s’exprimait dans les termes qui suivent : « On me demandera peut-être qui nourrira les cent mille femmes et filles qui seront sans travail le 1er janvier 1872 et même les douze mille femmes et filles employées aux travaux des mines, si par malheur la mesure était restreinte à cette catégorie de travailleuses ? Je dirai sans hésiter que ce n’est pas mon affaire. » Une philanthropie qui tient un pareil langage est une philanthropie meurtrière. L’enquête anglaise ne s’est pas non plus inquiétée de savoir qui nourrirait toutes ces femmes et toutes ces filles qui pourraient être chassées des bandes d’ouvriers agricoles : ce n’était pas son affaire. Félicitons du moins les commissaires de l’enquête de s’être arrêtés à temps dans cette voie périlleuse où ils semblent avoir été sur le point de s’engager, de s’être contentés de souhaiter que les circonstances locales pussent permettre aux magistrats d’exclure les femmes et les filles des bandes agricoles sans aller jusqu’à solliciter une mesure législative consacrant cette exclusion dans tout le royaume.

Avec les réformes que nous venons d’examiner, les agricultural gangs ne seront guère modifiées dans leurs traits essentiels. Moins dangereuses pour la moralité et la santé du personnel qu’elles emploient, plus vigoureuses et plus-mobiles par l’élimination des élémens trop faibles, elles ne seront que plus en état de rendre les services que nous avons signalés, et resteront le type d’une organisation nouvelle du travail rural, née des nécessités de notre temps, et destinée sans doute à prendre de l’extension dans l’avenir.


III

Il n’est pas de phénomène économique qui n’ait son contre-coup nécessaire dans l’ordre politique. Tout ce qui se rattache au régime du travail et à la condition des ouvriers a une influence sur la répartition du pouvoir entre les différentes classes de la nation. L’une des causes principales de la direction démocratique qui est imprimée de nos jours à tous les peuples d’Europe, c’est l’avènement de la grande industrie et l’agglomération dans de vastes centres de masses énormes d’ouvriers qui ont appris à se connaître, à se compter, à comparer leur sort avec celui des classes plus élevées, à ressentir à la fois le stimulant légitime de l’ambition et l’aiguillon moins avouable de l’envie. À cette impulsion démocratique des villes manufacturières, on a pu jusqu’ici opposer comme modérateur l’action résistante des populations des campagnes, où se