Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 83.djvu/147

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

enfin les commissaires des clôtures. La race anglo-saxonne, si spontanée, si individuelle, si portée à l’isolement, n’échappe donc pas à la loi générale ; elle fait violence à ses instincts, et confie au pouvoir central le soin d’accomplir les améliorations sociales réclamées par les besoins et les lumières de notre époque.

Telles sont les principales objections qu’on élève contre l’idée d’une réforme de notre système administratif[1]. Si elles étaient fondées, il faudrait renoncer à l’espoir d’établir en France sur des bases solides un gouvernement libre. Heureusement il n’en est pas ainsi. D’abord on donne à cette réforme une portée qu’elle n’a pas ; on veut qu’elle ait pour résultat de créer l’autonomie des communes, et l’on nous en déroule avec effroi toutes les terribles conséquences. Or les partisans les plus résolus des libertés municipales ne songent nullement à leur sacrifier les droits de l’état. Ils disent seulement que, par la nature même des choses, il y a une distinction à faire entre ce qui touche à l’intérêt local et ce qui tient par un côté quelconque à l’intérêt général. Cette répartition leur semble fixer d’une manière bien précise le domaine de l’état et celui de la commune. Tout le monde reconnaît qu’on ne peut pas laisser au libre arbitre de cette dernière les services qui alimentent la vie sociale, tels que le culte, l’instruction publique, les hospices, la grande vicinalité, pas plus que les richesses naturelles du domaine public, comme les mines, les rivières, les cours d’eau, les forêts, les terres vagues. Ce sont là des matières qui doivent êtres régies au point de vue non d’une partie, mais de l’ensemble du peuple, et elles appartiennent essentiellement à la législation générale. La commune est, comme l’individu dans la société, limitée dans sas droits. Elle a fait, pour être admise dans la nation, l’abandon implicite d’une partie de sa liberté. Elle n’est pas souveraine, puisqu’elle ne peut suffire par elle-même à sa défense et à ses besoins.

Nous aboutissons ainsi à une question d’utilité, à une classification plus ou moins large des attributions soit communales, soit départementales, mais non à un droit de souveraineté, comme on prétend l’établir, pour en faire découler des conséquences monstrueuses. Les conseils municipaux n’ont d’autres droits que ceux qui appartiennent aux majorités dans un pays où le régime électif et représentatif fonctionne régulièrement. On craint, dit-on, que la majorité n’opprime la minorité et ne commette sur les individus des usurpations pour le moins aussi illégitimes que celles de l’état sur la commune. Vaut-il mieux que la minorité paralysa et annule la volonté de la majorité ? Si la volonté de la majorité n’était pas

  1. Voyez notamment le livre intitulé l’Individu et l’État, de M. Dupont-White, où ces idées sont développées avec talent.