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acceptée comme rationnelle et légitime, où en serions-nous ? Quel moyen aurions-nous de résoudre une question impliquant plusieurs intérêts, d’amener une assemblée plus ou moins nombreuse à une délibération utile, de donner aux corps constitués un organe officiel, au suffrage universel lui-même une autorité incontestable lorsqu’il est appelé à constituer le gouvernement ou à élire les représentans du pays ? Sans ce principe, l’organisation politique n’est pas possible, car la société ne vit que par la subordination des minorités à la majorité. Maintenant je reconnais que dans plusieurs cas il peut être sage de se réserver un moyen d’appel contre les décisions d’une majorité ; mais n’est-il pas possible d’assurer ce recours en organisant la représentation locale à tous ses degrés ? Quoi de plus naturel que de soumettre à un conseil d’arrondissement élu les décisions d’une commune qui fait partie de cet arrondissement, à un conseil-général les délibérations d’un conseil d’arrondissement compris dans le même département ? Ce sont des corps électifs superposés les uns aux autres, qui s’observeraient et se contrôleraient les uns les autres, et qui offriraient d’autant plus de garanties d’impartialité qu’ils seraient désintéressés dans la question à eux soumise.

Aujourd’hui qu’arrive-t-il ? Une délibération est prise par un conseil municipal. Si elle contrarie les vues de l’administration, le préfet la frappe de son veto. Voici l’action municipale paralysée. C’est un pouvoir non élu qui neutralise l’initiative d’un pouvoir élu ; un fonctionnaire qui ne discute pas annule le résultat d’une discussion, et cela dans un pays constitutionnel dont la condition essentielle est ou doit être la prépondérance de l’opinion ! Que le conseil municipal réclame contre l’arrêté du préfet, à qui s’adresse-t-il ? Dans la plupart des cas, au ministre de l’intérieur. Celui-ci, mis en demeure de se prononcer dans un différend entre son délégué et l’organe de la commune, se trouve porté, par la confiance que lui inspira son représentant, à lui donner raison. D’ailleurs l’esprit administratif a ses préventions contre les corps électifs. Il cède involontairement, quand ce n’est pas systématiquement, à la tentation naturelle de les refréner et de les dominer. À cette tendance, que de fois il se joint d’autres vues, d’autres passions ! Celles par exemple d’empêcher des hommes politiques d’acquérir une popularité dont ils pourraient se servir au moment des élections au corps législatif. Du maire au préfet, du préfet au ministre de l’intérieur, tous les efforts se coalisent pour déterminer l’annulation de délibérations présentant en perspective un tel danger. Singulier recours que celui qui s’exerce dans de pareilles conditions ! Tout le monde a encore présent à l’esprit ce qui s’est passé à Toulouse lorsque le conseil municipal élu de cette ville prit un ensemble de résolutions qui renversait un plan de travaux publics dont la population