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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 83.djvu/167

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public. Ces raisons sont vraies aussi pour les attentats contre la sûreté de l’état, pour la violation de la constitution ; elles justifient, le cas échéant, le renvoi des ministres devant une haute cour criminelle à l’instar de celle instituée en 1848 et qui existe encore aujourd’hui, ou devant la haute assemblée législative formée en cour de justice, comme sous le gouvernement de juillet. Cette organisation s’anime tout à la fois du sentiment judiciaire par la présence d’un certain nombre de magistrats et du sentiment public par celle d’hommes politiques. C’est un véritable jury national.

Personne n’ignore que, sous l’empire de cet esprit administratif si puissant en France et qui a résisté depuis plus de soixante ans à nos fréquentes révolutions, l’article 75 de la constitution de l’an VIII a été religieusement conservé. Cet article exige l’autorisation préalable du conseil d’état pour poursuivre un fonctionnaire et lui demander la réparation d’un acte arbitraire. Un peuple qui aurait les institutions les plus libérales les verrait s’annihiler toutes et perdrait ses libertés en détail sous le régime de cette législation. Sans doute le fonctionnaire ne doit pas être livré aux passions qu’il provoque souvent dans l’accomplissement de ses fonctions. Il importe qu’il ne soit pas privé de protection, puisqu’on exige de lui l’exécution ponctuelle des ordres quelquefois sévères qu’il reçoit de ses supérieurs et la stricte application de la loi ; mais cette protection, il doit la trouver dans son chef immédiat et dans cette hiérarchie administrative qui remonte de l’agent le plus humble au préfet et du préfet au ministre. Quel est le préfet qui refusera de couvrir de sa responsabilité, le subordonné qui aura agi conformément à ses instructions ? Quel est le ministre qui à son tour ne prendra pas à sa charge, pour en répondre devant le parlement, les mesures ordonnées par un préfet non désavoué par lui ? Le fonctionnaire, à vrai dire, ne peut être recherché que si l’acte qu’on lui reproche lui est personnel, et alors pourquoi l’autorisation préalable du conseil d’état ? N’a-t-il pas agi à ses risques et périls et ne doit-il pas rendre compte de sa témérité ? Le conseil d’état est composé d’hommes distingués ; mais, sans lui faire injure, on reconnaîtra qu’il est plus soucieux de conserver intacte l’action du pouvoir que les garanties des citoyens. La suppression de l’article 75 est donc une nécessité de premier ordre. Quand il n’existera plus, les agens de tout rang apprendront à se conduire avec une sage circonspection ; ils sauront qu’en regard de leurs devoirs il y a des droits respectables. Les particuliers de leur côté réfléchiront avant de poursuivre un fonctionnaire, car ils s’exposeront à lui payer des dommages-intérêts, s’il est reconnu que leur plainte n’est pas fondée.

Pour compléter la part de la magistrature dans la politique, il