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cette intervention de la société, il est indispensable que près de chaque tribunal et de chaque cour le ministère public constitue un corps homogène et permanent, animé d’un même esprit de droiture et de fermeté, formé de plusieurs membres qui s’entr’aident et se suppléent dans cette lutte où la justice sociale est en présence des passions qui la combattent ou la méconnaissent.

Je ne puis donc admettre avec M. Prevast-Paradol qu’on devrait supprimer les avocats-généraux et les substituts, laissant dans chaque affaire au procureur-général ou au procureur impérial le soin de confier à des avocats la redoutable mission de porter la parole au nom de la société. Cette manière de procéder est logique en Angleterre, puisque c’est par l’individu lésé que la poursuite est faite ; elle ne le serait pas en France. Le ministère public perdrait dans cette collaboration ses doctrines, son esprit de corps et son autorité. Quant au barreau, dans cette combinaison, il perdrait le trait qui le caractérise et l’honore le plus, son indépendance aussi bien vis-à-vis de la magistrature que vis-à-vis du gouvernement. Et dans les causes politiques pense-t-on qu’il y aurait grand empressement de la part des avocats, les plus célèbres à se charger de la mission de demander la répression d’un délit, d’un acte répréhensible aux yeux des gardiens de la loi, mais que l’opinion excuse et quelquefois honore de ses applaudissemens ? Quand la cause serait populaire, les compétiteurs seraient nombreux, et le ministère public ne manquerait pas d’auxiliaires ; mais dans le cas contraire il serait obligé de confier les intérêts les plus sacrés de l’ordre public à des voix inexpérimentées dont l’impuissance ajouterait aux périls qu’il s’agirait de conjurer. Cette désertion au moment de la lutte serait déjà une défaite morale. Non, laissons au barreau son rôle, celui de défenseur des accusés. Qu’il n’abdique pas ce noble privilège pour devenir le solliciteur et l’obligé du parquet, pour mettre au service de l’accusation une voix qu’il se glorifie de ne faire entendre que pour la défense.

Certainement le pouvoir exécutif, chargé d’assurer l’exécution des lois, ne doit pas être dépouillé de toute action dans la composition des parquets. Il faut qu’il puisse, comme aujourd’hui, les surveiller ; les contrôler leur imprimer une direction supérieure, tout en les laissant aux inspirations de leur conscience quand ils parlent au nom de la loi ; mais ce serait dépasser le but que de donner au ministère de la justice le droit absolu d’en nommer et d’en révoquer les membres, ce serait faire de ce corps une dépendance de l’administration. Pourquoi n’aurait-on pas recours, pour le recruter, à un mode analogue à celui proposé pour la magistrature assise ? Pourquoi le choix du ministre de la justice ne s’enfermerait-il pas dans