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être religieusement interdite. Si l’accusé est innocent, il n’a rien à avouer ; s’il est coupable, la société, qui a tant de moyens d’information, n’a pas besoin de le contraindre à déposer contre lui-même. Il ne doit donc jamais être mis au secret, jamais non plus il ne doit être interrogé devant le jury. Un ensemble de questions subtilement liées les unes aux autres, savamment combinées, posées de sang-froid par une voix expérimentée qui emprunte une sorte de force d’intimidation à la fonction du magistrat, peut compromettre un innocent et conduit tout au plus le coupable au mensonge.

En même temps que la faiblesse de l’accusé inspire un intérêt compatissant, le président des assises frappe et saisit par la grandeur de sa mission. Organe impassible du droit, il ne doit jamais descendre des régions sereines de la justice pour se mêler au conflit de l’accusation et de la défense. Par cette même raison, il importe qu’il s’abstienne d’interroger les témoins, car cet interrogatoire peut facilement dégénérer en une manifestation d’opinion pour ou contre l’accusé. C’est à l’accusation et à la défense qu’appartient le soin de faire éclater la vérité en provoquant, en recueillant, en commentant les témoignages chacune à son point de vue. Il faut aussi retirer au président des assises la tâche de résumer les débats. Ce résumé incline presque nécessairement dans un sens ou dans l’autre, plus souvent dans le sens de l’accusation, et exerce une influence parfois décisive sur les délibérations du jury. Il faut lire les belles pages dans lesquelles M. Prevost-Paradol met. en lumière ces abus. Elles sont écrites d’une main vigoureuse et reflètent l’émotion d’une âme honnête qu’anime l’amour de la justice et de l’humanité.


IV

Je viens d’examiner successivement toutes les questions qui se posent à l’occasion de la fondation d’un gouvernement libre dans notre pays. Sur plusieurs, je me suis trouvé d’un avis différent de celui de M. Prevost-Paradol malgré l’estime que m’inspirent ses vues libérales et ses profondes convictions. Peut-être faut-il chercher la cause de ce désaccord dans la préoccupation qui semble avoir dominé tout son livre sur la France nouvelle, à savoir : poser les bases d’un gouvernement libre pouvant s’encadrer tout aussi bien dans la forme républicaine que dans la forme monarchique. Cette erreur systématique l’a conduit à fausser quelques-uns des ressorts de la machine constitutionnelle. Oui, certainement on peut obtenir la liberté par des institutions différentes : l’histoire nous montre des monarchies donnant ce résultat aussi bien que des républiques ; mais faut-il en conclure que la forme importe peu ? La