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chambre ne voulait pas des réformes, qu’elle voulait une révolution. Il s’arma en guerre de son côté, chercha des commentateurs au fameux article 14 de la charte, et forma le ministère Polignac, qui exécuta quelques mois après le coup d’état. En 1847, l’opposition, vaincue dans les élections, n’ayant plus d’espoir dans le pays légal, organise ce qu’on a appelé la campagne des banquets, et s’adresse aux multitudes. C’était son droit. Elle pouvait provoquer la population à manifester par toute sorte de moyens que son sentiment n’était pas d’accord sur la politique du gouvernement avec l’opinion des collèges censitaires ; mais les réunions qui eurent lieu à cet effet ne conservèrent pas longtemps le caractère constitutionnel. Le toast au roi fut supprimé des banquets, et la question légale fut soulevée ; ces réunions ne se tenaient-elles pas en violation flagrante de la législation existante ? On pouvait déférer la question aux tribunaux ; l’opposition préféra maintenir son prétendu droit. Ainsi le 24 février, au lieu d’une solution judiciaire, on eut une révolution. La logique exerce une véritable tyrannie sur l’esprit public français. On croit n’avoir rien fait quand on n’a pas tout fait ; le temps est un ingrédient dont nous ne savons pas nous servir, il faut que l’œuvre politique s’accomplisse comme un changement à vue. Lentement et patiemment élaborée, elle fatigue l’attention publique et perd toute valeur.

Supposons d’autres mœurs, des habitudes de légalité dans la nation ; supposons qu’au lieu d’écarter la décision judiciaire à propos des banquets, l’opposition s’y fût prêtée, que serait-il arrivé ? Si l’interprétation de l’opposition était acceptée, le droit de réunion était conquis ; dans le cas contraire, c’était une lacune à combler dans la législation. Quant aux réformes électorales et parlementaires, pourquoi l’opposition ne cherchait-elle pas à les appuyer par tous les moyens de publicité dont elle disposait ? Pourquoi n’organisait-elle pas l’agitation dans le pays, comme disent les Anglais ? pourquoi ne faisait-elle pas couvrir de signatures des pétitions constatant que telle était la volonté des populations ? Les résistances les plus obstinées finissent toujours par céder devant un courant d’opinion vraiment populaire. Par malheur, jamais une idée n’a le temps de mûrir en France. Combien d’années l’Angleterre n’a-t-elle pas employées à débattre les questions de la suppression de la traite des noirs, de l’affranchissement des esclaves, de la réforme parlementaire, de l’émancipation des catholiques d’Irlande avant de les mener à une solution ! Voilà les véritables causes de nos révolutions successives. L’esprit français franchit d’un seul bond la distance pour atteindre logiquement le but de ses aspirations. Il faut renoncer à toute illusion, il faut dire à nos concitoyens qu’ils ont