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dans la mer, il a vu passer devant lui les hommes et les choses, et il s’est réjoui de trouver en Algérie les passions de la France en même temps que les beautés de l’Orient.

Richement dotée par la nature, bien que le manque d’eau s’y fasse quelquefois cruellement sentir, singulièrement variée sous le rapport de l’aspect général et des propriétés du sol, notre colonie peut donner tous les produits, est apte à recevoir les cultures les plus différentes. Pourtant la population indigène est plongée dans la misère, l’agriculture languit, et l’observateur ne tarde pas à se convaincre des graves difficultés que présente l’administration de ce pays, difficultés nées des circonstances mêmes de la conquête, et qui tiennent à la présence de deux élémens différens dont les besoins paraissent contraires, les Arabes et les colons. Ces élémens, un régime avisé aurait pu les concilier, une politique brutale peut-être, mais résolue, les aurait sacrifiés l’un à l’autre ; une direction vacillante les a jusqu’à ce jour également paralysés. Ce n’est pas exclusivement au compte de la famine qu’il faut porter cette incroyable mortalité des Arabes dont la France s’est émue en 1868. Si 300,000 d’entre eux ont succombé, si ceux qui survivent sont dans un état de dénûment dont nos misères européennes ne peuvent donner une idée, si l’aristocratie elle-même, en perdant ses troupeaux, a perdu ses richesses, ou doit faire remonter la cause de ces malheurs à des vices d’organisation dont le principal est sans contredit l’état de la société arabe. Quant à la colonie proprement dite, elle n’est rien moins que prospère. L’immigration est arrêtée depuis longtemps, l’aveu s’en échappe même des bouches officielles. Nous ne dirons pas que d’émigration commence, parce que sans doute ce serait donner trop déportée à un fait qui paraît devoir rester isolé ; mais enfin il s’est produit un véritable mouvement d’émigration. Cent colons agriculteurs de la province d’Oran ont quitté l’Algérie au mois de novembre 1868 pour aller se fixer au Brésil. C’est là, nous le voulons bien, un accident plutôt qu’un symptôme ; le fait n’en est pas moins regrettable et même affligeant pour un cœur français.


I

L’Algérie a eu sa part de ces reviremens imprévus, de ces changemens préparés dans l’ombre, brusquement introduits, brusquement abandonnés, qui caractérisent depuis dix-sept ans notre politique générale. Du reste, depuis le jour où le besoin de venger une offense nationale nous a poussés sur les côtes d’Afrique, l’œuvre de la France en Algérie n’a été qu’une suite de tâtonnemens. Venus seulement pour détruire un repaire de pirates, nous n’avions d’abord