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« Il ne suffit pas de tailler, mon fils, il faut recoudre, » disait Catherine de Médicis à Henri III après le meurtre du duc de Guise. Il ne suffit pas de critiquer, il faut conclure ; mais ici la conclusion nous semble découler de la critique même. Le gouvernement-général, dans sa polémique avec les journaux de l’Algérie, s’est beaucoup défendu de vouloir faire une loi agraire. Suivant nous, c’est précisément ce qu’il eût dû faire. C’était le seul résultat fécond que pût donner ce sénatus-consulte sur la propriété arabe, qui avait été une première faute. Puisqu’on avait écarté la mesure du cantonnement au nom de principes supérieurs d’humanité et de justice qui n’étaient pas en cause, au nom de ces mêmes principes on devait partager les terres arabes entre tous les membres du douar. Les khammès y avaient droit plus que tous les autres, car ils représentent le seul élément utile de la tribu, celui qui produit. Sur eux devait se porter toute la sollicitude de l’administration, et non sur ces cavaliers qui peuvent ravir l’admiration dans une fantasia, mais qui sont incapables de nous rendre aucun service, même celui qu’on était en droit d’en attendre. Inutiles sur les champs de bataille de l’Europe malgré leur bravoure incontestable, dangereux auxiliaires sur ceux de l’Afrique, ils sont l’objet d’une faveur que rien ne justifie, et qui n’a eu de raison d’être que pendant la conquête.

Le maréchal Bugeaud avait pris pour devise ense et aratro. Mot d’ordre de l’occupation française en 1840, ce glorieux programme est aujourd’hui suranné. Cedant arma togœ ! dit-on en 1869. Que la haute main dans les destinées de l’Algérie soit retirée à l’administration militaire ! En prenant parti contre elle, nous n’entendons pas nous faire l’écho des accusations exagérées, parfois calomnieuses, qu’on ne lui a pas épargnées. Il faut rendre justice à ce corps des bureaux arabes, qui a compté dans ses rangs les officiers les plus distingués, et dont le concours a été si utile tant qu’il a fallu contenir par l’ascendant et l’adresse des populations frémissantes. Il a fait fausse route le jour où on lui a demandé de jouer un rôle qui n’était plus de sa compétence. Ne devait-on pas s’y attendre ? Pacifiés aujourd’hui, du moins autant qu’ils peuvent l’être, les Arabes doivent subir la loi de développement de l’humanité. La civilisation et la force des choses exigent que la tribu soit pénétrée, transformée par notre contact et nos exemples, sinon dans tous ses usages, du moins dans, ceux qui sont incompatibles avec le progrès matériel. Attaquer la propriété arabe dans son principe, le communisme, la société indigène dans sa base, la hiérarchie féodale, voilà donc pour le gouvernement de l’Algérie le commencement de la sagesse. Pour accomplir cette œuvre résolument, des magistrats, des fonctionnaires de l’ordre civil, seront mieux choisis