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lady Henrietta de Vere, lui disputa par mille moyens plus ou moins légitimes l’amour et surtout la main de lord Cowper. Celui-ci échappa aux pièges de cette rusée coquette, et sa loyauté paraît avoir été récompensée par l’amour le plus sincère et le plus tendre qu’une honnête femme ait jamais porté à son époux. Lady Cowper ne put survivre plus de quatre mois à la perte de ce mari bien-aimé[1].

Nous allons donc avoir sur les premiers momens du règne de George Ier, sur le début des Brunswick en Angleterre, sur l’insurrection jacobite de 1715, sur les tragiques exécutions dont elle fut suivie, sur les pratiques de l’administration whig, alors dirigée par trois hommes remarquables, George Halifax, Charles Townshend et James Stanhope, le témoignage intime d’une femme intelligente qui ne manquait ni d’informations exactes ni de facultés observatrices. L’intérêt des siens et surtout l’affection conjugale ont fait peut-être parfois transiger lady Cowper, dans ses appréciations des hommes et des choses, avec la rigueur naturelle de ses principes ; mais elle portait au milieu d’une cour très démoralisée l’invincible préservatif d’une conscience pure, d’une grande dignité personnelle et d’un légitime orgueil. Espérons qu’en nous donnant le droit d’élaguer quelques-unes de ces pages d’ailleurs assez peu nombreuses et en choisissant ce qu’elles offrent de plus vivant et de plus caractéristique, nous n’entreprenons pas un travail dépourvu d’intérêt. Comme l’a fait remarquer l’éditeur du journal de lady Cowper, les souvenirs de cette femme d’esprit et ceux de son noble époux[2] comblent une lacune dans la série des mémoires du temps.


I

Les mensonges que je vois perpétuellement se répandre et s’accréditer autour de moi, dit lady Cowper, m’ont donné l’idée de noter pendant ma résidence à la cour tout ce qui me paraîtra digne d’un souvenir. Ceci ne pourra être une besogne quotidienne, je suis trop occupée pour l’ajouter à mes autres soins ; mais une ou deux fois la semaine je trouverai bien à me ménager une heure de loisir, et je la consacrerai à prendre au vol quelques notes informes que je réunirai plus tard, et auxquelles je donnerai un ordre plus méthodique, si Dieu m’en accorde la force et le temps.

Peut-être est-il bon de dire, par forme d’avant-propos, que depuis quatre années j’entretenais avec la princesse auprès de

  1. Lord Cowper mourut en octobre 1723, sa femme le 5 février 1724.
  2. Le journal de lord Cowper a été imprimé (mais non publié) en 1833, par le club de Roxburgh. Coxe, l’historien de la maison d’Autriche, le biographe de Walpole, en avait eu le manuscrit à sa disposition. Lord Manon a pu se procurer un des exemplaires imprimés. Cette bonne chance ne nous a pas été donnée, à notre grand regret.