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votre avis sur quelques ouvrages. — Bref, insistant toujours, il le mène dans une cave admirablement garnie. Là, savourant la surprise de son convive : — Que dites-vous de mes livres ? — Je n’en pourrais guère trouver qui m’intéressent autant, repart l’autre ; mais je prendrai la liberté de demander à votre seigneurie pourquoi la plupart sont in-quartaut

23 décembre. — L’évêque de Londres s’est permis une singulière démarche. Mistress Howard est venue de sa part dire à la princesse que, comme doyen de sa chapelle, il se croyait tenu de se mettre à sa disposition pour lever tous les doutes, apaiser tous les scrupules qui pourraient alarmer sa conscience, ou sur lesquels elle voudrait être éclairée. Son altesse a paru légèrement piquée du compliment. — Renvoyez-le avec toute sorte de politesses, a-t-elle répondu à la messagère qu’il avait choisie ; mais je le trouve assez impertinent de supposer que je n’entends pas ma religion, moi qui, pour rester protestante, ai refusé d’être impératrice[1].

6 janvier 1715, jour des Rois. — De ma vie je n’ai vu à la cour pareille cohue. On jouait un jeu d’enfer. Ma maîtresse étant de moitié avec la duchesse de Montague[2], ces dames ont gagné à elles deux plus de six cents livres sterling. J’ai renvoyé bien loin M. Archer quand il est venu me proposer une place aux tables de hasard, où la moindre mise était de deux cents guinées. Partout ailleurs on se foulait, on s’écrasait de la plus étrange façon du monde. L’ambassadrice de Venise, se remémorant peut-être les algarades brutales de monsieur son mari, ne cessait de crier, dès qu’on approchait d’elle : — Prenez garde à mon vizaze : prenez garde à mon vizaze !… car c’est ainsi qu’elle prononce. Le roi finit par saisir au vol cette plaisante adjuration, et se tournant vers quelqu’un de sa suite : — Entendez-vous, dit-il, notre aimable ambassadrice ? pourvu que vous ayez soin du visage, elle vous abandonne tout le reste du corps.

Soupé avec le roi chez les Montague, la duchesse n’ayant jamais voulu accepter mes excuses. Dans le courant de la soirée, le roi m’a fait présent de deux hures de sanglier, dont il avait goûté l’une, qui lui parut excellente. Aussi se targuait-il d’être mon « essayeur. » Ceci, je présume, compte au nombre des faveurs dont il faut se vanter, et me rappelle qu’aux repas publics du roi de France, lorsqu’il veut distinguer particulièrement quelqu’un des assistans, il lui fait porter un bonbon sur lequel préalablement se sont posées ses gencives édentées.

  1. Caroline d’Anspach avait effectivement refusé d’épouser l’archiduc Charles, depuis empereur, parce qu’il était catholique romain. Gay fait allusion à ce souvenir dans son Epistle to a lady.
  2. Fille du duc de Marlborough.