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à mylord que, venant à régner, je ne lui donnerai pas souvent matière à contradiction ; et en attendant, chaque fois qu’il voudra livrer bataille dans le cabinet, ajoutez que je lui servirai d’arrière-garde. — Il était difficile, on le voit, de tenir un langage plus obligeant. Au commencement de novembre, Bernstorff m’a fait deux visites ; mais je me suis arrangée pour ne pas le voir en particulier, et ne lui ai pas ouvert la bouche sur les affaires publiques. Le 16 novembre est arrivée la nouvelle que les rebelles avaient mis bas les armes à Preston devant les troupes royales. J’ai le malheur de compter parmi eux plusieurs de mes proches ; mais la plupart sont catholiques romains. M. Forster, un de mes cousins, siégeant à la chambre basse pour le comté de Northumberland, les commandait en cette occasion. Dans le courant de l’été, des messagers d’état avaient reçu ordre de l’arrêter ; il s’était dérobé à leurs poursuites en se cachant chez M. Fenwick, de Bywell, un autre de mes cousins. C’est, j’imagine, par égard pour son oncle et sa tante (lord et lady Crewe) qu’il a été choisi comme général, et nullement à cause de son aptitude particulière, attendu qu’il n’a de sa vie assisté aux manœuvres d’une armée. La pauvre lady Crewe, lorsqu’elle le sut en passe d’être arrêté par ordre du roi, conçut de telles craintes, et s’agita tellement qu’en fin de compte, prise de convulsions, elle fut emportée au bout de quatre jours.

La nouvelle d’une victoire remportée en Écosse[1] est venue ajouter à l’allégresse publique, atténuée cependant par l’impopularité du duc d’Argyle, qui commandait nos soldats. On a été jusqu’à prétendre qu’il avait subi un échec complet ; la suite a prouvé que cette rumeur était fausse, puisque les rebelles, dispersés de toutes parts, n’étaient plus guère qu’au nombre de 1,500, lorsque l’arrivée du prétendant est venue rendre au soulèvement une partie des forces qu’il avait déjà perdues.

Quelques mots ici ne seraient pas de trop pour faire comprendre le mauvais renom du duc d’Argyle. Marlborough, qui l’a toujours traité en rival, ne lui a pas ménagé les accusations les plus déshonorantes. Argyle passe pour l’avoir desservi auprès de la reine Anne, et a pu revendiquer sa bonne part dans la chute du ministère dont l’illustre capitaine avait la direction. Le baron de Bernstorff, lord Townshend, lord Sunderland, M. Walpole, voyant le duc dans la grande intimité du prince de Galles, et craignant que, grâce à cette faveur, il ne les supplante quelque jour, s’attachent à le démonétiser de leur mieux. C’est afin de lui ménager un échec certain, et par les conseils secrets de Marlborough, qu’en le choisissant pour

  1. La bataille de Sheriffmuir, dans le comté de Perth. Les deux armées purent à titre égal revendiquer la victoire ; mais le duc d’Argyle en définitive recueillit tous les fruits de cette journée.