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conduire la campagne en Écosse on lui a donné si peu de troupes et on les lui a données si tard, laissant ainsi au comte de Mar les chances les plus favorables.

On ne parle depuis quelque temps que de la retraite de mylord. Le prince, averti par moi, n’a pas hésité à mander Bernstorff, qu’il a grondé de laisser s’accréditer une telle rumeur. Aussi ce dernier m’a-t-il dépêché sa nièce, Mlle Schutz, qui est une fort jolie femme, et ne manque pas de certaines qualités, mais dont les prétentions excessives ont aliéné toute la cour. Je la connais de longue date, et la voyais beaucoup ; mais l’antipathie marquée que le prince professe pour elle n’a pas laissé de me gêner dans nos relations. Elle m’a fait de grands reproches au nom de son oncle : je ne le traite plus en ami, je m’arrange pour ne plus le recevoir tête à tête, etc. J’avoue que, depuis l’algarade dont il m’a régalée à Kensington, je n’ai pu me résoudre à le voir sur un certain pied d’intimité. Cependant, sur la requête formelle de sa nièce, je promis de le recevoir le vendredi suivant à portes closes.

Il fut exact au rendez-vous, et entama de nouvelles plaintes sur ce que je ne le traitais pas assez bien. Comment avais-je pu douter de lui ? Comment, si je supposais à certains ministres des vues hostiles contre mylord, ne l’avais-je pas averti ? Pensais-je donc qu’il ne ferait pas tout au monde pour le maintenir à son poste ? — A tous ces propos, et à mille autres du même genre, je répondais assez froidement. Je lui dis que cette place si enviée ne nous tenait guère au cœur, qu’elle entraînait trop de soucis pour qu’on s’y attachât beaucoup. Bernstorff reprit, s’étendant sur la bonne volonté du roi pour mon mari, « que sa majesté le trouvait pourtant d’humeur inquiète et parfois difficile,… que c’était à moi, sa femme, de lui adresser à ce sujet quelques remontrances, et de le rendre, si cela se pouvait, un peu plus accommodant. » Je m’étonnai de ce reproche et de l’insinuation qui s’y trouvait jointe. Lord Cowper ne le méritait à aucun égard, et mon interlocuteur avait dû se méprendre sur le sens des paroles royales… Au fait, le roi n’est pour rien dans ceci, et Bernstorff trouve commode de faire passer les reproches de lord Townshend sous le couvert de sa majesté. C’est une finesse diplomatique dont je n’entends pas qu’il me croie dupe.

Décembre. — On commence dès le 5 du mois à s’entretenir de l’arrivée du prétendant en Écosse[1]. Un certain nombre des prisonniers de Preston, et surtout les plus qualifiés, ont été transférés cette semaine à Londres. On les y a fait entrer, les mains liées derrière le dos, et leurs chevaux (auxquels on avait retiré leurs brides) conduits à la longe chacun par un soldat. La populace chargeait

  1. Il n’y débarqua que le 2 janvier suivant.