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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 83.djvu/23

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LE CHRISTIANISME ET LE SPIRITUALISME.

comme nous, ce qui est une garantie pour notre raison, devons-nous toujours chercher par où ils ne pensent pas comme nous, ce qui est une arme pour le scepticisme ? et cela sous prétexte de logique, comme si nous étions toujours sûrs d’être nous-mêmes d’infaillibles logiciens ! »

Je ne demande pas mieux que d’admettre chez mes adversaires cette variété dans les points de vue successifs sous lesquels ils étudient les faits et les idées, cette étendue et cette honnête perplexité d’esprit qui les ramènent souvent vers la vérité, au risque de l’inconséquence. Je suis tout prêt à reconnaître qu’il y a bien des rationalistes qui ne sont point panthéistes, et des panthéistes qui ne veulent pas et ne croient pas être athées ; mais je ne puis renoncer à démêler dans les idées premières leurs conséquences logiques, ni à faire entrevoir vers quelles erreurs on court quand on n’a pas pris son point de départ dans la vérité. Je ne fais en cela que suivre l’exemple du bon sens public et de l’instinct des masses ; quand elles ne sont pas dominées et égarées par la passion, elles pressentent admirablement quels résultats dérivent de certains principes, et à quels périls les exposent des théories dont elles ne savent pas sonder le vice. Il leur arrive alors ou de repousser aveuglément les principes mêmes à cause des effets, ou de se rejeter dans une inconséquence confuse qui du moins les sauve des périls pratiques de l’erreur. En tout cas, j’ai à faire ici une réclamation personnelle. Quand M. Janet me reproche de voir dans tout protestant libéral un rationaliste, il fait pour moi, je n’en doute pas, une exception, car il me sait protestant, il me reconnaît libéral, et il est bien sûr que je ne suis pas rationaliste.

Ma dernière remarque sur les objections spéciales qu’adresse M. Janet à mon apologie du christianisme portera sur une question pratique et contemporaine. Il ne croit pas possible la conciliation que je désire entre l’église chrétienne catholique et la liberté. « Nous savons, dit-il, que quelques-uns des esprits les plus éclairés de notre temps font tous leurs efforts pour engager l’église dans cette voie de liberté et de progrès, dans cette voie de réconciliation avec les principes fondamentaux de l’esprit moderne ; mais qu’importe ? et quelle valeur peuvent avoir ces efforts purement individuels ? Ces hommes, si éminens qu’ils soient par l’esprit et le caractère, que sont-ils dans l’église ? Ils ne sont rien, absolument rien. L’église catholique est une monarchie, et elle tend de plus en plus à la monarchie absolue. Le catholicisme n’est pas à Paris, il est à Rome. C’est Rome qu’il faut convertir. Or Rome n’est point jusqu’ici entrée dans cette voie d’accommodement raisonnable, et tant qu’elle n’a point parlé, ou plutôt tant qu’elle parle dans le sens contraire, les plus nobles paroles