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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 83.djvu/24

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REVUE DES DEUX MONDES.

des plus nobles esprits sont absolument non-avenues ; aucun d’eux n’a mission pour traiter au nom de l’église. »

M. Janet oublie l’histoire. Rome n’est pas si intraitable ni si immobile qu’il la représente. Il est vrai, elle a souvent, depuis trois siècles surtout, fait cause commune avec le pouvoir absolu. Elle l’a servi et s’en est servie, beaucoup trop pour son propre bien et pour celui des rois ses alliés ; mais souvent aussi, à diverses époques, elle a défendu contre les rois les droits et les libertés des peuples. Elle a admis la libre discussion dans son propre sein ; elle a vécu et traité avec les conciles de l’église, et dans ses rapports hors de la sphère ecclésiastique Rome a presque toujours fini par compter avec l’opinion laïque et publique, quand l’opinion s’est montrée générale, énergique et persévérante. Elle a même plus d’une fois, par vraie sagesse ou par prudence humaine, sacrifié à la pression de l’opinion laïque ses plus dévoués, mais compromettans défenseurs, les jésuites par exemple, abolis en 1773 par Clément XIV. Elle a formé et entretenu de bonnes relations avec les peuples et les gouvernemens les plus divers entre eux et les plus différens d’elle-même par leurs principes comme par leurs formes politiques. Elle est flexible quand il le faut autant qu’obstinée tant qu’elle le peut. Corneille rappelle au roi Prasias, par son fils Nicomède, le conseil d’Annibal à propos de la Rome païenne :

….. Il m’a surtout laissé ferme en ce point
D’estimer beaucoup Rome et ne la craindre point.


Envers la Rome chrétienne, le même conseil est bon et plus sûrement efficace ; nous lui devons beaucoup plus que le monde asservi ne devait aux proconsuls romains, et elle est beaucoup moins forte. Que les amis de la liberté, que les peuples qui la désirent et la réclament, se préoccupent surtout d’eux-mêmes, qu’ils fondent chez eux des gouvernemens libres et maintiennent envers leurs chefs laïques leurs libertés religieuses et civiles, qu’en même temps ils respectent les libertés de Rome elle-même, ils n’auront rien de grave à craindre d’elle ; un peu plus tôt ou un peu plus tard, avec un peu plus ou un peu moins de bonne grâce elle se résignera à accepter le droit ou la nécessité ; si elle persistait dans des prétentions illégitimes, il serait facile de les repousser.

Je m’étonne que M. Janet fasse si peu de cas « des efforts de quelques-uns des hommes les plus éminens de notre temps par l’esprit et le caractère pour engager l’église catholique dans les voies de liberté et de réconciliation avec les principes fondamentaux de la société moderne. » Les grands mouvemens intellectuels et sociaux ont-ils jamais commencé autrement que par des efforts purement