Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 83.djvu/230

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

répondit en me demandant à son tour si je pouvais la convaincre par de bons argumens que les whigs ont à cœur mieux que les tories de maintenir la prérogative royale. — Cette démonstration, lui dis-je, ne me paraît pas impossible.

Lord Nottingham fait tout ce qu’il peut pour mettre les tories au mieux avec la princesse. Lord Finch, son fils, joue le même jeu. Sa dernière motion à la chambre haute avait pour objet de la compromettre dans un conflit avec celle des communes, et il comptait sur cette querelle pour faire avorter les procès de haute trahison. C’est du moins ce que m’ont dit le prince et le baron de Bernstorff. — Je suis allée chez Mme Robethon[1]. D’après quelques paroles échappées à son mari, je vois clairement que les Hanovriens et le ministère ne sont plus, à beaucoup près, en aussi bons termes que par le passé. Après tant de prévenances et de caresses mutuelles, cette brouille me semble plaisante.

4 février. — La princesse, avec qui j’ai passé deux heures, croit le baron de Bernstorff fort refroidi pour lord Townshend et M. Walpole. A mon avis, il ne lui en parle sur un ton d’inimitié que pour se faire bien venir d’elle et mieux pénétrer le fond de sa pensée. Son altesse en veut aussi au duc d’Argyle, que, tout en reconnaissant ses torts, j’ai défendu de mon mieux. Ceci l’a conduite à me dire que le duc, avec quelques bonnes qualités, a pour les contrebalancer de grands défauts. — Il est, poursuivit-elle, irréconciliable dans ses aversions, et croit trop facilement aux méchans propos. Tenez, par exemple, il a fait tout au monde pour m’empêcher de vous prendre, sous prétexte que vous aviez une intrigue réglée avec le roi. — Il a eu tort, s’il l’a fait, de tenir pareils propos sur mon compte. Je ne connais si grand personnage au monde qui pût m’attirer dans une intrigue de ce genre, et j’espère que votre altesse voudra bien m’en croire sur parole, car je ne me sens pas d’humeur à me défendre par voie d’argumens. Ce sont de pauvres vertus que celles dont on défend ainsi les intérêts… Là-dessus la princesse a repris sur un ton très gai : — Vous venez justement de répéter là ce que je disais, il y a quelques semaines, à Mme de Kielmansegge, et je vais vous conter à quel sujet ; mais vous n’en soufflerez mot. Quelqu’un était allé lui rapporter un désobligeant propos de mon mari, qui ne l’accusait de rien moins que d’avoir été bien avec tous les hommes du Hanovre. Elle vint me porter ses plaintes, et je dus lui répondre qu’un langage aussi peu mesuré n’était point à l’usage du prince. — Il n’en est pas moins vrai, poursuivit mon éplorée, que l’on me témoigne depuis lors

  1. On a vu plus haut quel rôle jouait le mari de cette dame. Quant à elle, sa laideur et son disgracieux organe l’avaient fait surnommer madame Grenouille. N’est-on pas fâché de voir lady Cowper en commerce réglé avec pareilles espèces ?