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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 83.djvu/231

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beaucoup de mépris ; plusieurs de mes connaissances ont même cru devoir rompre avec moi. Fort heureusement M. de Kielmansegge prend à cœur ma réputation, et il ne tiendra point à lui que justice ne me soit rendue… À ces mots, elle tire de sa poche un certificat en bonne forme, tout entier de la main de ce prodigieux mari, par lequel il atteste que madame son épouse lui a toujours été fidèle, et qu’il n’a jamais eu lieu de suspecter sa conduite… Que répondre à cela ? Qu’elle avait tort de se tourmenter, que je ne doutais point de sa loyauté conjugale, mais qu’elle ferait bien de ne point exhiber à d’autres que moi un document dont se passent en général les vertus bien établies… Au surplus, ajoutai-je pour en finir, il n’en existe pas beaucoup de pareils, et pour mon compte c’est le premier dont j’aie jamais ouï parler.

Dîné chez Mme de Gouvernet et de là au spectacle, où on donnait le Cobbler of Preston[1] ; aux acclamations que soulevaient tous les passages empreints de royalisme, on pouvait juger du bon effet des nouvelles arrivées hier, la prise de Perth, évacuée par les rebelles.

7 février. — Mon dernier petit garçon étant malade, je n’ai pu me rendre avant sept heures à la masquerade, qui était splendide. Elle a dû coûter, disent les connaisseurs, de sept à huit cents livres sterling. M. d’Iberville, l’envoyé plénipotentiaire français, explique à ses familiers que l’abandon de Perth n’est qu’une feinte[2] imaginée en France pour prolonger la guerre et donner au régent le loisir de venir en aide aux adhérens des Stuarts.

8 février. — La comtesse de Dorchester, avec laquelle j’ai dîné chez mistress Clayton, et qui est un démon d’esprit en même temps qu’un démon de laideur, a fait son possible pour m’amener à cette idée, que mon mari devrait s’aller pendre haut et court. — Rien n’est triste pour un homme supérieur tel que lord Cowper, me disait-elle avec ses airs malins, comme de se trouver uni à des imbéciles. Achitophel ne s’est pas pendu pour autre chose[3]. Le dépit de voir ses conseils méconnus par Absalon ne l’eût point, croyez-le bien, conduit à une résolution si extrême ; mais il constatait chez ce prince une irrémédiable nullité qui le livrait sans défense aux inspirations de gens incapables. On n’en pouvait tirer ni pied ni aile. David d’autre part, dont la sagesse devait triompher à la longue, mettait invariablement sur le compte d’Achitophel toutes les mesures adoptées par Absalon, et ne pouvait pas manquer, le cas

  1. Le Savetier de Preston de Ch. Johnson. Cette ancienne pièce a fourni le sujet d’un opéra-comique (le Brasseur de Preston) donné à Paris en 1846.
  2. D’Iberville était l’assidu correspondant des principaux jacobites.
  3. Achitophel, dans tout le cours de cette saillie par allusion, représente lord Cowper. Absalon est le prince de Galles, David le roi George Ier.