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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 83.djvu/247

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Moreau-Sainti s’est rendu coupable d’infraction en traitant avec des auteurs à des conditions que l’acte de société n’admet pas. Mon intention n’est aucunement de me porter ici le défenseur du directeur des Folies-Dramatiques, lequel, s’il a commis le méfait qu’on lui reproche, mérite d’en porter la peine, puisqu’il a librement consenti et signé le traité. Ce que, j’entends discuter, c’est l’esprit même de ce traité, conçu à un point de vue outrageusement arbitraire, et qui, très large à l’égard des auteurs arrivés, plein d’indulgence pour les forts, n’a de rigueur et de chicane que pour les petits. D’une part, on autorise les primes, on laisse le dramaturge en renom régler ses intérêts à sa convenance ; de l’autre, on interdit au débutant toute espèce d’abandon de ses droits, et, s’il lui arrive, à lui, l’inconnu, le pauvre diable dont personne ne veut, d’acheter au prix d’une concession quelconque la chance de publicité qu’on lui refuse, le directeur qui s’est prêté à cet arrangement s’entend déclarer, traître à la pairie. Abus, oui sans doute, abus indigne, révoltant, et qui rappelle la sordide exploitation que subissent ces fils de famille de la part du Shylock dont ils sollicitent les services, quittes à le vilipender le lendemain ; mais qui vous dit qu’en extorquant ce misérable argent à l’auteur ignoré le directeur félon ne cherche pas à rattraper tout ou partie de la somme payée à l’auteur en vogue en sus des droits légitimement dus ? Tout cela prouve une chose, à savoir que la société des auteurs dramatiques pourrait bien avoir cessé d’être dans nos mœurs, et que, si tant est qu’elle aille jusqu’au terme fixé par elle pour sa dissolution, les neuf ans qui lui restent à courir seront une ère d’impuissance. Déjà ses arrêts ne portent plus. Devant le procès dont la menaçait M. Richard Wagner, elle a cédé, les Folies-Dramatiques vaquent à leurs affaires comme si de rien n’était, et l’Athénée, une autre scène également excommuniée pour refus de soumission à des exigences fiscales, se prépare bravement à fournir sa saison d’hiver en ne donnant que des ouvrages d’auteurs qui ne font point partie de la société. C’est donc au profit des compositeurs étrangers qu’on aura travaillé.

La société, invention de M. Scribe, l’auteur arrivé, demandé par excellence, l’homme habile entre tous à manœuvrer ses intérêts, et qui eût inventé la prime, si la prime n’eût pas existé, — la société, depuis quarante ans qu’elle dure, n’a point failli à son origine. Elle aide aux puissans, enchaîne les humbles (exaltavit polentes, et humiles déposait de sede), sans pouvoir néanmoins empêcher les gens d’exercer par contrebande cette faculté de négocier à prix réduits qu’elle refuse à tous ses membres de pratiquer au grand jour. Ainsi il est dit que les auteurs traiteront avec les directeurs moyennant un droit sur les recettes[1]. Ces conditions peuvent être haussées, exagérées à

  1. Ce droit proportionnel varie de 10 à 12 pour 100, selon les théâtres ; l’Opéra seul échappe encore à cette loi, et paie une somme fixe de 500 francs pour un ouvrage de cinq actes. La commission ne demanderait pas mieux que de l’y amener, mais ses prétentions viendraient se heurter ici contre un décret impérial encontre l’acte signé avec le ministre le jour où le directeur actuel a pris l’administration à ses risques et périls.