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ne pouvant se faire aimer, elle finit par provoquer une véritable répulsion, comme il arrive aujourd’hui à Francfort.

Les Francfortois ont un grand tort, ils ne peuvent s’accoutumer à être Prussiens, chose d’autant plus grave aux yeux des politiques de Berlin que, dans leur pensée, la « ville impériale » était destinée à servir de « trait d’union entre le nord et le sud. » Voilà le malheur ! la « «ville impériale » n’aspire pas du tout à ce rôle, elle méconnaît la « tâche patriotique » qu’on rêvait pour elle ; enfin c’est une ville ennemie, et on lui a bien prouvé du reste plus d’une fois qu’on la considérait ainsi. Qu’ont fait les Francfortois ? Beaucoup de familles se sont ingéniées de toute façon pour dérober leurs enfans au recrutement militaire prussien, elles ont acheté pour eux le droit de nationalité en Suisse, en se conformant du reste à une loi prussienne qui autorise de semblables émigrations. Le cabinet de Berlin n’a pas voulu avoir le dernier mot, et il vient d’expulser sommairement, brutalement, les mauvais patriotes qui, ne pouvant rester citoyens d’une ville libre et indépendante, ont mieux aimé être Suisses que Prussiens. Les Francfortois ne manqueront pas sans doute après cela de témoigner leur gratitude à la politique de M. de Bismarck et de se rallier de plus en plus à la Prusse ; mais il y a un autre côté de la question. Entre la Prusse et la Suisse, il existe des traités garantissant la sécurité et les intérêts des citoyens respectifs des deux pays. Si la Prusse traite avec cette légèreté des personnes ayant acquis pour une raison quelconque la nationalité suisse, le gouvernement helvétique peut en faire autant à l’égard des Prussiens fixés dans les cantons. La Suisse ne fera rien, c’est fort probable, ou du moins elle ne réclamera qu’avec mesure, pour la forme ; ce n’est pas moins une sorte d’injure pour le caractère helvétique, de telle façon que, pour sortir d’une difficulté, la Prusse s’est exposée à provoquer un certain ressentiment en Suisse et un peu plus de haine de la part des Francfortois.

Le temps est aux indiscrétions diplomatiques. Il y en a eu plus d’une depuis quelques années à l’occasion de ces affaires allemandes. Il y a eu la divulgation de la lettre écrite par M. d’Usedom au gouvernement italien au moment de la guerre de 1866 ; il y a eu la dépêche secrète de M. De Bismarck à M. de Goltz, ébruitée par l’état-major autrichien. La diplomatie n’a plus de mystères, les diplomates eux-mêmes sont indiscrets, et voici d’un autre côté, en Italie, l’ancien amiral Persano, qui dans un Journal politique militaire de ses campagnes navales dévoile tous les secrets de l’action du gouvernement piémontais en 1860, à l’époque de l’invasion de la Sicile et de Naples par Garibaldi. L’amiral Persano, il est vrai, n’est pas payé pour être très réservé, puisqu’on a été si peu indulgent pour lui, puisqu’on lui a fait expier son malheur de bissa comme un crime. Malgré tout, il aurait pu assurément être plus discret et garder dans son portefeuille des pièces qui n’étaient pas destinées à voir le jour de si tôt ; mais enfin l’indiscrétion est commise,