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et ce qu’on soupçonnait, on le sait aujourd’hui à n’en plus douter.

Cette conquête de la Sicile et de Naples, qui éclata dans le temps comme le miracle d’un héroïsme aventureux, c’est Garibaldi qui a eu l’air de la faire, c’est Cavour qui en a prépaie et assuré le succès, c’est Persano qui a été le plus actif instrument du premier ministre piémontais. Sans avoir rien concerté, on s’entendait merveilleusement. Ces volontaires, ces mille qu’on croyait devoir être ensevelis dans la Méditerranée à la première apparition d’un navire napolitain, ils étaient escortés, protégés jusqu’à leur débarquement. Garibaldi était-il en péril, on se tenait prêt à lui porter secours. Lui fallait-il des armes, des munitions, des officiers, on les lui fournissait, en gardant encore toutefois les dehors d’une spécieuse neutralité. L’histoire devient moins légendaire, elle n’est pas moins curieuse. C’est un vrai drame qui se déroule dans les pages dénuées d’artifice de ce journal de Persano. Garibaldi, c’est le héros inconscient et fougueux qui s’en va à l’aventure ; Cavour, c’est le politique, le diplomate qui aide sous main l’expédition et qui d’un autre côté sauve les apparences, fait face à l’Europe menaçant de se fâcher. Tout y est, même le traître : c’est visiblement Liborio Romano, le dernier ministre de l’intérieur de François II, qui se tient prêt à signer le passeport de son roi. La conscience, qui n’est jamais complètement absente des affaires humaines, la conscience elle-même est représentée ; c’est Massimo d’Azeglio écrivant avec un sentiment de malaise à Persano : « J’aurais mieux aimé une déclaration, une conduite ouverte, plutôt que d’user de tant de moyens dont au reste personne n’est dupe. » Nous ne prétendons pas assurément que ce soit là un modèle de régularité diplomatique, c’était un coup d’audace et de politique que légitimait la puissance du sentiment national, et qui a été absous par le succès. Cela dit, si quelqu’un a un peu à souffrir de ces divulgations, ce n’est pas Cavour. On sent en lui le patriote passionné, offrant même, s’il le faut, de s’effacer devant Garibaldi. De son côté, Garibaldi se montre ombrageux, presque malveillant. Dans ses communications incessantes avec Persano, il ne prononce jamais le nom de Cavour ; à qui pourtant il doit le succès de son entreprise. Garibaldi a pu voir depuis à Aspromonte et à Mentana ce qu’il pouvait seul, sans l’appui d’un Cavour ; mais tout cela est passé, et l’Italie est sortie des aventures pour entrer dans la vie réelle.

L’Espagne n’est plus aussi sérieusement menacée d’une nouvelle guerre civile, puisque le général Prim a pu décidément faire son voyage de Vichy. Le comte de Reus va retrouver dans la ville aux eaux salutaires les souvenirs d’un temps où l’on faisait avec lui le beau rêve du Mexique. Depuis cette époque, tout a étrangement changé. Nous sommes occupés à faire un sénatus-consulte pour nous prémunir justement contre les rêves du Mexique ; le général Prim est arrivé à peu près où il voulait, il est chef de l’armée, président du conseil, et l’Espagne vient