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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 83.djvu/28

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REVUE DES DEUX MONDES.

spiritualisme philosophique, je les résume d’avance ainsi. Tantôt M. Janet attribue à ce spiritualisme plus de puissance qu’il n’en possède pour satisfaire aux instincts et aux droits de la nature humaine ; tantôt au contraire il ne tire pas de la doctrine spiritualiste toutes les conséquences légitimes qui y sont contenues, et il s’arrête en route quand il pourrait aller plus loin, aller jusqu’au but définitif auquel aspire l’humanité. Il n’y a pas dans le spiritualisme philosophique tout ce que M. Janet en espère ; il y a plus qu’il n’y montre ou qu’il n’y voit.

Je tiens à faire une observation préalable. À mon sens, M. Janet n’est pas juste envers l’école spiritualiste française contemporaine. « La psychologie scientifique, dit-il, avait été fondée par Locke et les Écossais ; l’école française y a peu ajouté. Cette école a défendu l’idée du devoir et l’a fortement séparée de l’intérêt personnel. Elle a défendu la liberté humaine au point de vue philosophique, moral et politique ; mais, forte dans la psychologie et la morale, elle a été faible dans la théodicée, dans la métaphysique, dans la philosophie religieuse en général. » Les faits protestent contre cette appréciation ; l’école spiritualiste française du XIXe siècle a beaucoup ajouté à la psychologie écossaise, et elle n’est pas restée étrangère à l’ontologie et à la théodicée. M. Royer-Collard a porté dans la question générale du spiritualisme et dans quelques questions spéciales, entre autres dans celles de la perception et de la durée, une précision et une rigueur d’expression comme de pensée qui ont souvent manqué aux philosophes écossais. Il a élevé le bon sens à la hauteur de la logique, contenu la logique sous le contrôle du bon sens, et prêté au bon sens et à la logique l’éclat de l’éloquence morale. MM. Maine de Biran et Jouffroy ont poussé l’observation et la description des faits psychologiques à un rare degré de profondeur et d’exactitude scientifique, et c’est en pénétrant, avec le flambeau de la psychologie, dans le domaine de l’ontologie qu’ils ont été conduits, l’un presque au mysticisme, l’autre au scepticisme, qu’ils n’ont pas laissé de répudier. M. Cousin s’est lancé, avec toute la puissance de l’imagination, de la dialectique et de l’éloquence, dans tous les problèmes, dans tous les systèmes de la philosophie ; après les avoir parcourus comme une comète parcourt l’espace, il est revenu à son point de départ, et il a laissé partout la trace lumineuse de son passage, même là où il n’a fait que passer. M. de Rémusat, dans ses Essais de philosophie, a abordé les questions fondamentales, la matière et l’esprit, la connaissance et la conscience. humaines, et il les a traitées avec une originalité de pensée, une patience de méthode, une abondance de vues et une fine précision de langage qui ne l’ont pas toujours retenu loin de l’abîme du doute, mais qui l’ont empêché d’y tomber, et ont réduit pour lui le doute à