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LE CHRISTIANISME ET LE SPIRITUALISME.

Je cite là les propres paroles de trois grands docteurs, l’un catholique, l’autre protestant, le troisième positiviste. Bossuet et Chalmers parlent affirmativement de la connaissance qu’a l’homme de Dieu et des choses divines. Ni l’un ni l’autre n’emploient ici le mot de science. Ils savent que ce n’est pas là l’expression propre de l’état de l’esprit humain quant à Dieu et aux choses divines ; mais ils pensent que, sur cette sphère supérieure où n’atteint pas sa science, l’homme acquiert naturellement et à bon droit une certaine mesure de connaissance. M. Littré au contraire écarte absolument toute idée que l’homme ait une connaissance quelconque de l’origine des êtres et de leur fin, c’est-à-dire de Dieu et des choses divines.

Ainsi se manifestent deux doctrines essentiellement différentes. Selon l’une, l’esprit humain peut avoir et a en effet un certain genre et un certain degré de connaissance qui n’est pas la science, mais qui n’en a pas moins les caractères et les droits de la vérité. L’autre doctrine n’accorde les caractères et les droits de la vérité qu’à la science proprement dite, c’est-à-dire aux résultats de cette étude dans laquelle l’esprit humain fait, pour ainsi dire, le tour de son objet, reconnaît successivement les faits qu’il y observe, leur point de départ, leur enchaînement, leurs lois et leurs conséquences, et ne présume ni ne conclut rien au-delà de ce qu’il atteint et constate directement.

Bossuet et Chalmers (j’en pourrais nommer bien d’autres dignes de leur être associés) professent la première de ces doctrines. M. Littré et les positivistes n’admettent que la seconde. Je pense comme Bossuet et Chalmers. Je crois la science, ce fruit du travail intellectuel de l’homme sur le monde fini, profondément différente de la connaissance, élan puissant de la pensée humaine vers des régions plus hautes que celles où se promène et s’acquiert la science. C’est dans ce sens et en vertu de cette distinction que j’ai parlé dans mes Méditations des limites de la science et des sources de la croyance aux réalités que la science n’atteint pas. Rien à coup sûr n’est plus étranger, je devrais dire plus contraire au positivisme, à son principe comme à ses effets.

Que fais-je donc et que suis-je quand, distinguant ainsi la connaissance de la science, je renferme la science humaine dans les limites du monde fini, et je reconnais en même temps à l’esprit humain une connaissance certaine, bien que partielle et limitée, de l’infini, c’est-à-dire de Dieu et des choses divines ? Je sape le positivisme dans sa base. Je suis un spiritualiste décidé et conséquent. Je reprends la définition du positivisme telle que la donne M. Janet, et c’est la plus favorable qu’on en puisse donner. « L’idée-mère du positivisme, dit-il, c’est que la science doit s’abstenir de toutes recherches sur les causes premières et sur l’essence des choses ; elle ne connaît que des enchaînemens de phénomènes : tout ce qui est