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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 83.djvu/32

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REVUE DES DEUX MONDES.

au-delà n’est que conception subjective de l’esprit, objet de sentiment, de foi personnelle, non de science. Or une telle théorie exclut aussi bien le matérialisme que le spiritualisme. Nous ne connaissons pas plus l’essence de la matière que l’essence de l’esprit, pas plus l’essence de l’esprit que l’essence de la matière. Les origines et les causes nous sont inaccessibles. En dehors de la chaîne et de la série des phénomènes, il n’y a qu’un vaste inconnu que l’on peut appeler comme on veut, selon les tendances de son âme, mais qui est absolument indéterminable par aucun procédé scientifique. »

Ainsi en dehors des phénomènes, c’est-à-dire des apparences sensibles et saisissables par des procédés scientifiques, le positivisme n’affirme et ne nie rien. Il n’affirme et ne nie spécialement ni l’esprit ni la matière ; il exclut aussi bien le matérialisme que le spiritualisme. Il a pour principe que la science humaine n’atteint que la surface des choses ; le fond, c’est-à-dire l’origine et l’essence des choses, lui est inaccessible. Dans le fond, il n’y a qu’un vaste inconnu que l’esprit se figure de telle ou telle façon et auquel il donne le nom qu’il veut. Nous ne savons rien de ce qui est ; nous ne connaissons que ce qui paraît.

Le spiritualisme au contraire affirme deux choses, la distinction essentielle de l’esprit et de la matière et la réalité essentielle de l’esprit et de la matière. Cette double affirmation repose sur une observation profonde et complète. Quand il observe soit lui-même dans son existence actuelle, soit le monde extérieur, l’homme reconnaît des faits essentiellement distincts : en lui-même, un être intelligent et libre qu’il appelle l’âme, et une matière organisée et régie par des lois permanentes— qu’il appelle le corps ; — hors de lui-même, l’homme reconnaît un vaste ensemble de faits régis par des lois permanentes, et un auteur et législateur de ces faits qui n’ont pas pu se créer ni se régler eux-mêmes, c’est-à-dire le monde et Dieu. Et ces grands faits, l’homme, le monde et Dieu, ne sont pas des phénomènes, de pures apparences ; ce sont des réalités que l’esprit humain atteint directement, quoiqu’il ne les connaisse et ne les comprenne pas complètement. C’est là le spiritualisme philosophique, tel qu’il résulte d’une psychologie et d’une ontologie fondées sur l’exacte observation des faits et intimement unies. C’est une doctrine qui exclut formellement le matérialisme et le scepticisme idéaliste, c’est-à-dire les deux conséquences entre lesquelles flotte le positivisme. Je suis l’un des disciples et des adhérens convaincus de cette doctrine.

M. Janet se méprend donc quand il m’accuse de nier la philosophie, ou du moins la métaphysique, la philosophie première, et par la même la théologie naturelle. « M. Guizot, dit-il, reproche quelquefois à ses adversaires d’être trop timides et de ne point accepter hardiment toutes les conséquences de leur pensée. J’oserais