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C’est par l’ardeur qu’elle déploie pour la cause des femmes que Mme Lewald s’est attiré leurs suffrages, et c’est le cas d’expliquer ce qu’elle entend par ce mot d’émancipation, derrière lequel s’abritent tant de propositions diverses. Il suffira de se rappeler la vie de l’auteur pour se rendre compte de sa pensée sur ce point. « L’émancipation que je revendique, dit-elle, est celle que j’ai poursuivie et obtenue, l’émancipation au travail, à un travail sérieux. » Le lecteur peut donc être rassuré : il ne s’agit ici ni du woman suffrage ni des « unions libres, » et ce mot redoutable d’émancipation ne résume que des idées modérées, sinon toutes également applicables et justes. L’éducation mal dirigée qui condamne la femme à une infériorité intellectuelle et l’empêche de se créer par elle-même une situation indépendante, les usages qui l’écartent de beaucoup d’emplois qu’elle pourrait utilement remplir, les préjugés bourgeois qui attachent au travail des femmes une certaine idée de déchéance, la nécessité qui amène la plupart des jeunes filles à ne chercher dans le mariage qu’une position assurée et des avantages extérieurs, voilà les inconvéniens qui frappent Mme Lewald. Elle les a subis elle-même ; elle croit que les choses iraient mieux dans le monde et dans son pays surtout, que les ménages seraient plus heureux, les enfans mieux élevés, la société plus morale, si certains abus étaient réformés ; elle les combat donc avec une hauteur marquée, une passion qu’elle ne cherche point à dissimuler. Elle s’abandonne bien parfois à quelque intempérance de logique ; mais on ne peut méconnaître, pour l’Allemagne en particulier, un fonds de vérité et de raison dans ces critiques ardentes.

Il y a des femmes auxquelles la vie est dure, qui luttent péniblement dans un labeur honnête sans y voir d’avenir ; celles-là lisent Mme Lewald. Elles la blâment quelquefois, estiment qu’elle va trop loin ou ne l’entendent pas parfaitement ; elles jugent souvent aussi que ses critiques tombent juste, et cela suffit à les intéresser. Mme Lewald ne les vante point ; elle ne les pousse ni à l’étourdissement des passions ni au renoncement du cloître : elle les exhorte à une certaine virilité, à cet affranchissement moral qui lui a procuré à elle-même l’indépendance, la célébrité, le bonheur. Malheureusement tout le monde n’a pas l’esprit nécessaire pour soutenir une telle attitude, ni le mérite suffisant pour dominer le ridicule, et l’on risquerait fort, en suivant de trop près ces principes, de transformer en bas-bleus pédantesques et vains toute une population de ménagères désorientées. Ce serait le danger d’une éducation qui chercherait moins à développer les qualités naturelles de la femme qu’à lui en imposer de nouvelles. Les femmes qui se piquent de supériorité sont trop aisément portées à dédaigner les mérites réels de leur sexe. L’on ne peut dire que Mme Lewald se soit suffisamment gardée de ce