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travers, et, lorsqu’elle y succombe, elle méconnaît le meilleur de son talent. Ce qui plaît chez elle en effet et relève décidément ses ouvrages, c’est une observation juste de certains états de l’âme féminine ; ce qui échauffe son style, c’est la compassion éloquente pour les douleurs de ses pareilles, c’est quelque chose d’humain, de senti, de personnel, qui perce çà et là et rappelle que l’auteur est une femme, qu’elle a vécu, qu’elle a souffert et garde un cœur. C’est la note la plus claire dans ce concert de musique savante, c’est la vraie, la seule qui touche et puisse rester.


III

Entrons dans une atmosphère plus tempérée. Voici un auteur aimé des jeunes filles et bien vu des mères, Mlle Bremer. Elle est Suédoise, mais ses livres sont tellement répandus et considérés en Allemagne, que l’on doit lui donner place dans ce travail. Elle est de la race d’ailleurs, et nous retrouvons en elle, adouci par l’esprit chrétien, modéré par une grande rectitude de cœur, le double caractère que nous venons d’étudier dans ces manifestations extrêmes, le tempérament rêveur et la tendance à moraliser.

Mme de Hahn nous emportait en plein nuage orageux, Mme Lewald nous jetait dans l’abstraction sèche et forcée ; avec Mlle Bremer, nous revenons à la vie de chaque jour. Elle aussi a puisé ses inspirations en elle-même et nous donne dans ses livres un reflet de son existence ; mais cette existence a été modeste et mesurée, renfermée presque toute dans la sphère domestique et traversée seulement par des épreuves intimes. Nous touchons à un groupe moins brillant, mais plus naturel, plus humain et partant plus sympathique que ceux que nous quittons. C’est la vie intérieure des familles du nord avec sa poésie douce et ses charmes discrets, à laquelle nous allons donner un coup d’œil. Plus d’éclats, plus de passion, l’histoire est très courte et très simple.

Frederika Bremer[1] appartient à une famille d’origine allemande ; elle est née à Abo, en Finlande, en 1801. La plus grande partie de sa jeunesse se passa à la campagne, dans une vieille demeure qui remontait au XIVe siècle et dont l’aspect romantique paraît avoir saisi vivement son imagination. Les enfans, — ils étaient quatre, — y étaient soumis à une discipline rigoureuse. C’étaient les mœurs d’alors, et, si excellente qu’elle fût, la mère de Frederika aurait cru manquer à ses devoirs en se montrant moins sévère. Son père avait un naturel mélancolique ; il restait, paraît-il, pendant de

  1. Lebenschilderung und Briefe von Frederika Bremer, herausgegeben von ihrer Schwester Charlotte Quiding. Leipzig 1868.