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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 83.djvu/400

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longues heures à se promener dans les vastes chambres du château, et quelquefois on l’entendait pleurer. Frederika avait hérité en partie de ces dispositions à la tristesse. Elle reçut l’éducation la plus complète. Petite, sans beauté, la tête un peu trop forte, mais la physionomie vive et intelligente, elle se développa rapidement, et commença de bonne heure à crayonner de petites poésies. Elle rêvait beaucoup, un peu au hasard de ses lectures et sous l’impression de ses alentours. Chaque année, on allait séjourner à Stockholm ; Frederika ne s’y plaisait guère ; elle n’aimait point le monde : sans doute elle savait qu’elle n’était pas jolie, et, redoutant de ne point plaire, se renfermait davantage dans sa timidité. Les travaux de la maison, l’étude, la musique, puis, le soir, la lecture à haute voix ou la partie d’échecs du père, de plus en plus silencieux et porté à l’hypocondrie, telle était sa vie pendant les mois passés à la campagne. Concentrée comme elle l’était, elle souffrait de n’être point comprise ou plutôt de n’être point devinée. « Nulle part un cœur, un regard ; tout meurt, ou plutôt tout est mourant, excepté la douleur. » Dans cette lassitude de l’inaction et du doute, elle s’efforçait de détruire tout germe d’espérance, si grande était en elle la crainte des déceptions. « Pourquoi ce désir ardent en moi de devenir célèbre et de me faire un nom ? écrivait-elle dans son journal. Si on a rarement l’occasion d’accomplir de grandes choses, on a chaque jour le moyen d’exercer son âme à la patience, à l’indulgence, à l’abnégation, — petites vertus, les plus difficiles pour certaines âmes, car on les pratique en silence, et elles passent inaperçues. » Puis elle s’effrayait de vieillir, — elle avait vingt et un ans tout au plus en ce temps-là, — et de voir s’émousser en elle cette sensibilité excessive qui pourtant la tourmentait. Elle se réfugiait alors dans un amour général de l’humanité malheureuse, elle projetait de consacrer son existence aux affligés, et pour être toute à eux, dans son enthousiasme de dévoûment, elle se promettait de ne se marier jamais. Elle ne formait de si vastes desseins que parce que la réalité lui manquait. Dès qu’elle put commencer d’agir, tous ces fantômes de la solitude s’évanouirent, et son esprit rentra de lui-même dans la mesure. Elle écrivait déjà pendant ces années de trouble, mais en secret, pour apaiser seulement et fixer son imagination. « Comme les petites ondes de la baie, qui, agitées par le vent, tracent sur le sable des lignes insignifiantes, j’écrivais pour écrire. » Elle n’était pas encouragée et n’entrevoyait point le succès. La vocation cependant grandissait en elle et lui montrait dans le métier d’écrivain l’accomplissement possible de ses vœux. Elle commença de s’y préparer sérieusement, et se mit à étudier avec une ardeur consciencieuse qui ne se démentit jamais. Son premier ouvrage, Esquisses de la vie de tous les jours, parut en 1828 et obtint du succès. La carrière de