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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 83.djvu/426

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officier que l’on pût comparer à nos généraux d’Afrique était encore un vieillard, sir Colin Campbell, qui avait aussi débuté en Espagne en 1808. Seulement, au lieu de rester en Angleterre après la paix, il avait servi aux Indes-Occidentales, dans la guerre de Chine en 1842, puis dans l’Inde ; il commandait une division dans la campagne des Sikhs, en 1846, à la sanglante bataille de Chillianwalla. De retour en Europe, il s’était retrouvé simple colonel après quarante-quatre années de brillans services, et il était venu en Crimée, lui militaire plein d’expérience et général renommé, sans autre grade que celui de brigadier-général. Voilà quels étaient les chefs de l’infanterie anglaise. Quant aux généraux de cavalerie, leur biographie sera plus courte encore ; ils étaient trois devant Sébastopol, et aucun des trois n’avait encore assisté à une bataille. On en vit la preuve un mois plus tard au combat de Balaclava. Nous n’en dominerons qu’un, lord Cardigan, qui se fit en cette journée une réputation singulièrement contestée par M. Kinglake. Entré dans la carrière des armes à un âge où c’est plutôt l’habitude d’en sortir, lord Cardigan était, à vingt-sept ans, cornette dans un régiment de cavalerie en même temps que membre de la chambre des communes ; il se partageait, dit-on, avec une égale ardeur entre ses deux professions. Sept ans après, on le vit lieutenant-colonel, mais toujours en Angleterre. Duelliste heureux, sportsman consommé, il se distinguait plus dans les exercices athlétiques que dans les luttes oratoires, et néanmoins il savait à l’occasion se défendre avec la parole aussi bien qu’avec l’épée. M. Kinglake, qui a une rancune contre lord Cardigan, prétend que le premier docteur en théologie venu que l’on aurait mis à cheval aurait été plus capable que lui de commander une charge de cavalerie. Quoiqu’il en soit, ce bouillant général avait obtenu, à l’âge de cinquante-sept ans, le commandement qu’il avait désiré toute sa vie. Il était en Crimée à la tête d’une brigade ; mais, original jusqu’au bout, il s’affranchissait des ennuis, sinon des périls de la campagne. Tandis que les généraux divisionnaires et le général en chef lui-même étaient soumis sur le plateau de la Chersonèse à toutes les privations de la vie des camps, lord Cardigan se retirait chaque soir sur son yacht, à l’ancre dans le port de Balaclava ; il s’y était installé avec tout le comfort d’une maison bien tenue sans oublier même un cuisinier français.

En somme, l’armée anglaise, composée en grande partie de mercenaires, comme personne ne l’ignore, alimentée et ravitaillée par une administration surannée, bien dressée en temps de paix aux exercices régimentaires qui font bon effet dans une revue, mais dépourvue de l’expérience autrement efficace que l’on acquiert dans les camps par de grandes manœuvres stratégiques, l’armée anglaise avait encore le désavantage d’obéir à un cénacle de vieillards. Les