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des disciples, il fait école. C’est là l’enseignement supérieur dans ses aspirations les plus hautes.

Jusqu’ici nous n’avons envisagé l’université allemande que comme une admirable machine d’enseignement ; elle est autre chose. En faisant du vrai mérite la condition de tout avancement, elle a atteint un but plus élevé, elle a fondé la grandeur scientifique du pays. Le privat-docent sait qu’il n’a d’autre moyen de parvenir que de se faire connaître par des recherches, des travaux meilleurs que ceux de ses concurrens. Il sait aussi que sa valeur personnelle n’aura jamais rien à redouter ni de l’intrigue, ni de la disgrâce, ni des bureaux, ni des appréciations lointaines d’un administrateur dont les complaisans ont surpris la bonne foi. Il n’aura de juges que ses pairs, les professeurs des autres facultés, sous la garantie de l’opinion publique. Les recueils scientifiques portent ses travaux au loin, les étudians répandent la renommée de son enseignement. L’avenir est à lui, il deviendra professeur titulaire ou au moins supplémentaire. Aucun pouvoir, aucune coterie, ne sauraient l’en empêcher. Il est sans exemple qu’un homme de valeur soit resté privat-docent, au second rang. Tel est le secret de cette décentralisation allemande qui nous frappe d’étonnement. Le privat-docent d’une grande université la quitte sans crainte, il n’a pas besoin d’y garder des amis ou un puissant protecteur pour y être rappelé un jour. Il est sûr qu’on viendra le tirer de l’exil des universités inconnues, comme Giessen, Piostock, Marbourg, s’il en est digne. Et dans le calme profond de ces petites villes, « habitées seulement, ainsi que disait Goethe, par des professeurs, des philistins, des étudians et du bétail, » il travaille tout à l’aise, il produit, il se fait connaître. Rien ne le vient déranger, c’est à peine si les bruits de la vie du monde arrivent jusque-là. Nous entendions un jour un anatomiste bien connu en Europe, M. Bischoff, se plaindre des distractions trop grandes de la ville de Munich. Munich ! à peu près aussi bruyante que Versailles ! Si les Allemands l’ont appelée l’Athènes du nord, ce n’est certes pas pour l’animation de la place publique. M. Bischoff regrettait sa vie à Erlangen, où il avait fait ses belles recherches d’embryogénie et de plus créé une collection d’anatomie. Il nous racontait quel bruit fit dans l’université et dans la ville l’arrivée d’un crocodile mort qu’on lui avait envoyé du Muséum de Paris. Ses aides, ses élèves, tous s’étaient mis à l’œuvre presque nuit et jour avec lui afin de ne rien perdre de la précieuse bête. On en tira un monde de préparations qui peuplent aujourd’hui la collection anatomique. Voilà la vie, voilà les grands événemens dans ces bourgades universitaires par où ont passé les noms les plus illustres de l’Allemagne. Tout le jour à leurs études et à renseignement, les jeunes professeurs se