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bientôt une sorte d’intimité entre le maître et l’élève. Il y a quelques années, M. Ewald, l’orientaliste de Gœttingue, eut une affection qui l’empêchait de se lever. Il faisait son cours dans sa chambre. Les élèves, assis autour du lit, écrivaient, tandis que Mme Ewald vaquait aux soins du ménage. Il n’est pas rare que les cours, même les cours publice, se fassent ainsi chez le professeur, en famille. Aux leçons d’Ehrenberg, nous arrivions cinq ou six. Il nous recevait dans son cabinet, au milieu de ses microscopes, de ses livres et de ses ménageries d’infusoires parqués dans des tubes. On causait de la réunion précédente, on demandait des éclaircissemens qui parfois entraînaient à de longues digressions ; on cherchait une bête dans les tubes, on en trouvait une autre, et voilà la leçon encore dévoyée, ou bien c’était un point d’érudition à éclaircir, et, séance tenante, on fouillait la bibliothèque : somme toute, excellentes et profitables leçons que ces leçons ainsi faites à bâtons rompus.

Ce dédain de tout éclat, cette bonhomie, ne sont pas simplement affaire de formes, ils touchent à l’essence même de l’enseignement allemand. Le maître professe comme il travaille ; son cours n’est que l’exposition de sa méthode. Il creuse et il montre comment on creuse un sujet. On a dit que le professeur allemand « travaillait tout haut » devant ses élèves ; l’expression est fort juste. En France, nos professeurs de science se bornent pour la plupart à exposer les résultats acquis. C’est au reste la méthode officielle, consacrée par l’existence d’un programme pour les cours de faculté. L’année dernière, M. de Sybel, professeur d’histoire à l’université de Bonn, dans un discours académique sur les universités allemandes et étrangères, a vivement critiqué notre système. « En France, a-t-il dit, le maître apporte le résultat de recherches souvent longues et laborieuses ; mais il ne dit rien à ses auditeurs des opérations intellectuelles par lesquelles il est arrivé à ces résultats. En Allemagne au contraire, on tâche surtout d’apprendre à l’étudiant la méthode d’une science. On cherche, non à le mettre en état de devenir lui-même un savant, mais à lui donner une idée claire des problèmes de la science et des opérations par lesquelles se résolvent ces problèmes. » D’une manière générale, les remarques de M. de Sybel sont fondées. Son tort est de les avoir étendues à tout l’enseignement français. Il y a des exceptions ; nous pourrions citer tels cours au Collège de France qui répondent exactement à l’idéal que se fait M. de Sybel. Le professeur n’a pas de programme ; il enseigne ce qu’il veut, le sujet le plus spécial ou la plus obscure question, il cherche à s’éclairer lui-même en même temps que ses auditeurs ; son amphithéâtre devient son laboratoire aux heures de la leçon. A défaut d’élèves nombreux, qu’on ne trouve jamais pour suivre, un cours ainsi fait, il a