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Mme de Valdère me regardait avec émotion, elle crut sans doute que je devenais fou : elle devint pâle et tremblante. Je crus devoir, pour la rassurer, lui faire la déclaration que j’ai coutume de lancer à ceux qui m’examinent avec méfiance ou curiosité. — J’ai été comédien, lui dis-je en m’efforçant de sourire.

— Je le sais bien, reprit-elle encore émue. Je connais, je crois, toute votre histoire. N’en soyez pas surpris, monsieur Laurence. J’ai eu à Blois une jolie petite maison renaissance, au numéro vingt-cinq d’une certaine rue où il y avait des tilleuls et des rossignols. Il s’est passé dans cette maison une singulière aventure dont vous étiez le héros. L’héroïne, qui était venue là à mon insu et sans ma permission, bien qu’elle fût mon amie, m’a tout confessé par la suite. Pauvre femme ! elle est morte avec ce souvenir.

— Morte ! m’écriai-je. Je ne la verrai donc jamais !

— C’est tant mieux pour elle, puisque vous ne l’eussiez pas aimée.

Je vis que M me de Valdère savait tout. Je la pressai de questions, elle les éluda ; ce souvenir lui était pénible, et elle n’était nullement disposée à trahir le secret de son amie. Je ne devais jamais savoir son nom, ni quoi que soit qui pût me faire retrouver sa trace dans un passé fermé, enseveli sans retour. — Vous pouvez au moins, lui dis-je, me parler du sentiment qu’elle a eu pour moi : était-il sérieux ?

— Très sérieux, très profond, très tenace. Vous n’y avez pas cru ?

— Non, et j’ai probablement manqué le bonheur par méfiance du bonheur ; mais a-t-elle souffert de cet amour ?… est-ce la cause…

— De sa mort prématurée ? non. Elle avait gardé l’espérance ou elle l’avait recouvrée, quand elle a su que vous aviez quitté le théâtre. Elle allait peut-être tenter de vous rattacher à elle quand elle est morte des suites d’un accident ; le feu a pris à sa robe de bal… Elle a beaucoup souffert ; elle est morte il y a deux ans. Ne parlons plus d’elle, je vous en prie ; cela me fait beaucoup de mal.

— Cela m’en fait aussi, repris-je, et j’en voudrais parler ! Ayez un peu de courage par pitié pour moi.

Elle me répondit avec bonté qu’elle s’intéressait à mon regret, s’il était réel ; mais pouvait-il l’être ? Ne serais-je pas porté à dédaigner au-delà de la tombe une femme que j’avais dédaignée vivante ? Étais-je disposé à écouter avec respect ce qu’on me dirait d’elle ? Je jurai que oui.

— Cela ne me suffit pas, reprit M me de Valdère. Je veux connaître vos sentimens intimes à son égard. Racontez —moi cette aventure sincèrement à votre point de vue. Dites-moi le jugement que vous avez porté sur mon amie et toutes les raisons qui vous ont entraîné à lui écrire que vous l’adoriez, pour l’oublier ensuite et retourner à la belle Impéria.