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a été émoussée avec précaution. À cette tactique ingénieuse, M. Carpeaux joint l’avantage d’appartenir à la phalange des prix de Rome, qui forme, comme on le sait, une association serrée peu disposée à céder le terrain à personne.

Aujourd’hui M. Carpeaux a une certaine influence ; il est consulté Il a donné des leçons de dessin au prince impérial, d’après lequel il a fait une petite statue, œuvre charmante, fine et distinguée. Il se sent assez soutenu pour imposer aux architectes ses volontés ou ses caprices. Ses discussions avec celui des Tuileries sont restées célèbres. Il ne lui plaît pas de placer ses sculptures dans l’intérieur d’un fronton, il prétend les mettre au-dessus. Les désirs de M. Carpeaux sont accomplis. Nous reconnaissons ce qu’il y a de fâcheux pour les architectes et pour l’architecture dans un pareil système ; cependant l’auteur de la reconstruction des Tuileries avait moins le droit de se plaindre que tel autre artiste qui eut avec M. Carpeaux des démêlés non moins vifs, et qui finit de même par avoir le dessous dans ce conflit où l’on voit aux prises le maître de l’œuvre et le sculpteur. Entre le directeur des travaux des Tuileries et le lauréat chargé au concours d’élever le nouvel Opéra par exemple, la situation n’était pas comparable en face des exigences d’un des hommes qui devaient concourir à la décoration de l’édifice. Le premier a été agréé administrativement[1]. Son talent est moins en cause, sa responsabilité moins engagée. L’autorité a jugé bon de l’employer et l’emploie : il n’est point libre. On lui donne des ordres, il les exécute. Les statuaires usent de leur crédit, quoi d’étonnant ? Il serait plutôt surprenant qu’il n’en fût pas ainsi.

L’un des travaux de M. Carpeaux au nouveau pavillon de Flore est ce fronton dont il a obtenu de décorer la partie supérieure en dépit des premières intentions de l’architecte. C’est de la sculpture à grand éclat, à grand effet, pittoresque et retentissante. Elle couronne l’édifice en l’écrasant un peu, sans que pourtant il y ait rien là d’outré ni d’excessif. L’autre, un petit groupe de dimension fort restreinte, encastré sur un pan de mur présentant une surface pleine assez étendue, procure une véritable sensation de plaisir. C’est une fête pour les yeux. Il représente, dit-on, la déesse Flore, marraine ou patronne du pavillon. Doit-on bien y voir une Flore ? Nous ne savons ; mais cela importe peu. La déesse ou, si vous aimez mieux, la nymphe, la femme dans son éternelle jeunesse, laisse venir à elle, attire, renvoie des petits enfans, des génies ou des amours. Elle est accroupie, elle rit avec eux ; elle écarte des branches pour les faire

  1. Voyez, dans la Revue du 1er juillet 1866, le Nouveau Louvre et les Nouvelles Tuileries, de M. Vitet.