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passer. Ils foulent la terre sur un rhythme marqué, heureux de vivre sous la douce lumière, gais, beaux, bien portans. Tout cela est empreint d’un mouvement fort vif sans exagération. Les chairs sont fermes sans bouffissures, les traits agréables. Je ne puis m’empêcher de regarder ce morceau comme un des meilleurs, sinon le meilleur, qui soit sorti du ciseau de l’artiste, et l’un des plus originaux, des plus personnels, des plus remarquables de la sculpture moderne.

J’arrive aux travaux du nouvel Opéra, à ce groupe qui a excité la discorde et suscité tant de tempêtes. Sur la façade, en saillie sur le mur, sont taillés quatre grands bas-reliefs symbolisant la poésie lyrique, la musique, la danse, le drame lyrique. Trois de ces groupes ont été confiés à MM. Jouffroy, Guillaume et Perraud. Le quatrième, la Danse, qui figure entre la Musique et le Drame lyrique, a été demandé à M. Carpeaux. Ces bas-reliefs comportent des personnages plus grands que nature ; l’espace dont ils peuvent disposer, le même pour chacun, a été soigneusement déterminé. Une statue plus petite, autre allégorie telle que la déclamation ou l’élégie, se dresse dans l’espace compris entre les groupes. Les trois compositions qui accompagnent la Danse indiquent chez les auteurs du savoir et du talent, et font certainement honneur à l’école française. Le public, attiré par le bruit qu’on menait à propos de l’un des groupes, n’a pas suffisamment regardé les autres et ne leur a pas rendu toute la justice qu’ils méritent. Bien des gens semblent portés à les trouver simplement honnêtes, sans vices ni vertus ; ils y ont à peine jeté les yeux. S’ils avaient pris souci de les examiner, ils en auraient jugé autrement. Ces auxiliaires ont concouru avec discrétion et loyauté à l’ornementation de cette façade. La tâche est plus délicate, elle réclame plus de tact et de goût qu’on ne le suppose. Il ne faudrait pas beaucoup d’attention pour se persuader qu’il n’y a pas seulement des détails à admirer. Parmi ces groupes, il en est même un que nous voulons nommer, qui sans tapage, sans fanfare, a pris possession de l’espace qui lui était réservé, et tient, on peut le dire, glorieusement sa place. Ce groupe représente la musique. Comment l’auteur a-t-il compris et rendu son sujet ? Une femme a en main la double flûte, une autre promène l’archet sur un violon. Elles exécutent une mélodie sous la direction du dieu de la lumière. Deux génies sont à leurs pieds. C’est à M. Guillaume qu’est due cette belle, chaste et élégante composition. L’artiste, qui a eu le malheur d’être aux prises avec tant de figures diverses de Napoléon Ier après avoir modelé ces deux figures des Gracques, si fortes, si profondes, si pleines d’un sentiment âpre et fier, si pénétrées de vie sous leur couche de bronze, a donné ici la mesure de l’ampleur, de la