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souplesse de son talent. Les lignes sont bien entendues, presque architecturales, la grâce est exquise et pourtant robuste, l’exécution large et nettement décorative, comme il convient à de la sculpture sur les monumens.

Le groupe de la Danse de M. Carpeaux fait violence aux regards et les tire forcément à lui. Il n’est pas besoin pour cela de s’approcher. Du plus loin qu’on l’aperçoit, on se sent en présence de quelque chose de bizarre, d’étrange, d’emporté, de tumultueux. Les contours contrastés se choquent, se heurtent, et semblent attaquer les lignes mêmes de l’édifice ; il paraît plus grand que ses voisins, déborde de toutes parts, s’impose à la curiosité du spectateur. On sent tout d’abord que l’œuvre n’est pas dans la mesure. « Rien de trop, disaient les Grecs ; » ils avaient parfaitement raison. Avançons pour voir si l’impression ne se modifiera point. Non, elle s’accentue davantage. Des femmes nues forment une ronde conduite par un génie également nu. Les uns et les autres vivent, se meuvent et s’agitent. Sont-ce des ménades sur les montagnes, menant la bacchanale effrénée ? le jeune homme est-il le divin Liber ? Sont-ce de belles filles qui dansent au soleil sous un ciel clément, sur les prés en fleur, qui dansent parce que le printemps, est revenu, parce qu’il est plein de parfums, pour exprimer la joie de la vie et pour la seule volupté du mouvement ? Ce n’est point cela, ni rien qui y ressemble. Quelques-uns ont prétendu que cela représente une danse de sauvages ou une sarabande du sabbat. Ce n’est point encore cela. Nous voulons nous mettre au point de vue de l’artiste, le seul qu’il ne puisse récuser. Nous ne lui reprochons pas d’être hors de l’antiquité et de la tradition ; nous lui en ferions plutôt un mérite, s’il était parvenu à réaliser son idée d’une façon satisfaisante. Celui qui se souvient de son temps, qui n’imite pas, qui emprunte à son époque tout ce qui peut fournir les matériaux d’une œuvre d’art durable, fait preuve de force plutôt que de défaillance. Il s’assure d’avance la sympathie et l’estime de ses contemporains. Pourrait-il en être autrement ? Il reflète leur propre existence en lui donnant une certaine intensité de caractère, en la faisant moins mesquine et plus grande. Chacun lui saura gré de n’être pas sorti de la réalité et d’avoir pris dans la vérité même les élémens du mensonge éternel. M. Carpeaux, pour symboliser la danse, ne pouvait nous montrer dans leurs vêtemens actuels ces femmes fardées de brun, de blanc et de rouge, à jupons légers, demi-nues, demi-vêtues, couvertes de paillettes et de clinquant. Soit, cela n’est pas dans les moyens du marbre et de la pierre, et répugne à la sculpture, art sobre et sincère qui se prête mal aux artifices. Il pouvait, il devait choisir ses mouvemens et ses modèles pour éviter la trivialité,