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I

L’un des traits les plus curieux de la géographie physique est dans la Grande-Bretagne l’embouchure des fleuves. Les eaux arrivent comme fatiguées du long cours qu’elles ont Récrit, et l’on dirait que la force leur manque au terme du voyage pour se frayer un chemin jusqu’à l’Océan. La ville de Liverpool est assise sur la Mersey. A peine cette rivière a-t-elle atteint Warrington, que, coulant sur un terrain plat et abaissé, elle se plie et se replie comme une couleuvre. Ces sinueux détours la conduisent jusqu’à sa jonction avec le Weaver, et plus loin elle se répand en un vaste estuaire qui forme le Liverpool-channel. Là commence la lutte du fleuve contre les bancs de sable et contre la mer. Il est aujourd’hui assez difficile de se figurer au juste ce que pouvait être cette masse d’ondes paresseuses avant les récens et prodigieux travaux de l’architecture maritime. Toutes les traditions s’accordent pourtant à nous entretenir d’un interminable marais d’eau saumâtre à la surface duquel volaient des oiseaux qui ne visitent plus ces mêmes parages modifiés par la main de l’homme[1]. L’histoire positive nous apprend d’un autre côté que beaucoup de nouveaux quartiers de la ville s’élèvent sur des terrains arrachés à l’estuaire. Un vieux château-fort construit vers 1208 et dont il ne reste plus aucune trace se trouvait alors exposé par trois côtés à la masse des eaux, dont il n’était séparé que par une portée d’arbalète. Aujourd’hui sur le même emplacement se dresse une église (Saint-George’s church) et s’alignent des rues très commerçantes situées à une certaine distance du port. Une population de marchands et d’hommes d’affaires ne se souvient guère du château, et se doute encore moins de l’étendue des domaines conquis par la ville sur un ancien étang de mer. L’embouchure du fleuve, à demi fermée par des bancs de sable, ne livrait passage aux vaisseaux que par deux entrées étroites et dangereuses. Ces obstacles, qui semblaient défier les progrès de la navigation locale, en ont peut-être favorisé les développemens. La lutte contre les élémens a provoqué toutes les ressources du génie anglo-saxon, et les forces de la nature, domptées, enchaînées, ont fini par servir d’auxiliaires aux entreprises hardies des marchands de Liverpool.

Deux magnifiques embarcadères (landing stages), celui du Prince (Prince’s stage), et celui de Saint-George (George’s stage),

  1. L’étymologie du nom de Liverpool est très obscure : quelques-uns le font dériver de liver ou lever, une sorte d’ibis qu’on dit avoir autrefois fréquenté les rives du fleuve, et de pool (mare). Cet oiseau, plus ou moins fabuleux, figure encore sur les armes de la ville.