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conduisent au bord de l’eau. Le premier mesure 1,002 pieds anglais de longueur sur 80 de largeur et est traversé par quatre ponts qui se rattachent au rivage ; le second, long de 505 pieds et large de 80, avec deux ponts, se relie à la jetée de Saint-George (Saint-George’s peer) par une vaste plate-forme de pierre sur laquelle circulent les piétons et les voitures. Les deux extrémités de cette plate-forme sont pourvues de charnières (self acting, automotrices) qui permettent au débarcadère en bois de s’élever et de s’abaisser avec les fluctuations de la marée ; le débarcadère s’appuie en outre sur une série de pontons en fer galvanisé. Hommes, femmes, enfans, réunis sur ces planches, attendent l’arrivée des ferry-boats (bacs). Tel est le nom que donnent nos voisins à tout un groupe de bateaux à vapeur très légers et très rapides qui, de quart d’heure en quart d’heure, s’élancent vers les diverses stations bordant l’estuaire, — Tranmere, Woodside, Birkenhead, Seacombe, Egremont, New-Brighton. On calcule que 20 ou 30,000 personnes par jour s’embarquent du port de Liverpool pour se rendre à leurs occupations ou à leurs plaisirs. Qui n’admirerait d’ailleurs la beauté de cette petite mer encaissée entre des remparts artificiels et dont les eaux, labourées, sillonnées du matin au soir par les nombreux ferry-boats qui les traversent en tout sens, ont depuis longtemps appris à céder sous la main de l’homme ? La vague est pourtant trouble, inquiète et déjà mugissante par les gros vents.

Ce n’était point un des bateaux du service public qui devait me conduire ce jour-là vers l’embouchure du fleuve ; on avait bien voulu m’admettre, par une faveur particulière, dans un joli steamer appartenant, à l’administration des docks. Quoiqu’une brume légère et blanchâtre fît pâlir le bleu du ciel, c’était une belle journée de printemps pour le Lancashire, et l’on distinguait parfaitement les deux rives. La largeur de l’estuaire varie d’ailleurs selon les endroits ; il y a tel point où les deux rives ne sont séparées que par une distance de 1,017 mètres ; il en est tel autre, comme entre Eastham et Frodsham, où les terres se trouvent divisées par 3 milles anglais de surface houleuse. Je ne connais point pour mon compte de spectacle plus imposant que celui de ce voyage sur l’eau. La ville, avec ses tours, ses clochers, ses dômes, ses gigantesques magasins, le port de Liverpool avec ses docks succédant à des docks sur une longueur de 6 milles, avec ses remparts de granit qui tiennent tête à la mer, ses immenses lignes de quais, ses bassins artificiels, son observatoire e ses chantiers de construction, tout cet émouvant panorama, unique même en Angleterre, inspire à qui le contemple pour la première fois une grande idée de la puissance et même de la poésie du commerce.