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lorsqu’on parcourt ces vastes établissemens cellulaires ; on s’y croit dans la chambre d’un malade, sensation instinctive et très juste, car les lésions morales sont des affections morbides tout aussi bien que les lésions de la chair. A force de vivre au milieu de détenus, le gardien les considère comme d’autres hommes, il n’a plus ni horreur ni pitié, il dit volontiers : « Ce sont des gens qui sont comme ça. » Avec eux, il est poli et même très doux, par indifférence d’abord et aussi parce qu’on le lui recommande. Il n’en est pas moins prudent, et c’est toujours à reculons qu’il sort d’une cellule. C’est lui qui veille à l’exécution stricte du règlement, dont les prescriptions très simples sont du reste faciles à suivre. — A cinq heures en été, à six heures en hiver, on sonne le lever à l’aide d’une cloche placée dans la rotonde ; au bout d’une demi-heure, le détenu doit avoir décroché et roulé son hamac et balayé sa cellule ; on ouvre alors la porte, et toutes les ordures sont enlevées par des prisonniers qui, sous le nom d’auxiliaires, sont chargés de certains services de domesticité dans l’intérieur de la maison ; en même temps on distribue l’eau et le pain pour la journée. A huit heures, la soupe du matin est passée à chaque détenu dans une écuelle qu’on place sur la planchette du guichet ; à trois heures, distribution du repas du soir ; à huit heures, on sonne le coucher ; le détenu rattache son hamac et fait son lit. C’est la fermeture ou, pour parler le langage des prisons, le bouclage ; à dix heures, toute lumière doit être éteinte, à moins d’une autorisation spéciale accordée par le directeur, qui ne la refuse guère. Pendant la journée, le détenu travaille à l’une des industries autorisées dans la maison : nattes de jute pour paillasson, chaussons de lisière, piquage d’épingles sur cartes, brochage de cahiers de papier destinés aux écoliers, boutons, chaînettes de fer ; quelques ouvriers spéciaux, tailleurs, cordonniers, travaillent à leur métier. En 1868, le nombre des journées de travail à Mazas a été de 221,231 ; elles ont rapporté 89,821 fr. 72 c, ce qui donne 40 c. en moyenne pour chaque journée. L’entrepreneur est représenté dans la maison par un contre-maître libre ; mais il choisit en outre, sur la désignation du directeur, un certain nombre de détenus qui, plus attentifs ou plus intelligens que les autres, deviennent chefs d’atelier, portent sur la manche un galon rouge distinctif, communiquent, toujours en présence d’un surveillant, avec leurs camarades pour leur distribuer le travail, et jouissent dans toute la maison d’une liberté relative fort enviée. La moindre infraction aux règlemens les expose à perdre leur galon, à rentrer au rang des autres détenus et à voir boucler la porte de leur cellule, que les nécessités de leur service forcent à laisser ouverte toute la journée. A Mazas, les condamnés seuls sont astreints au travail, car nulle loi n’y peut contraindre les