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ici-bas ; le sol, les climats, les conditions de nourriture, la composition même des liquides et des gaz, ont changé à plusieurs reprises dans le cours des âges géologiques, tantôt par un mouvement insensible, tantôt par l’effet de révolutions. Ils changent encore sous nos yeux dès que l’on passe d’une contrée dans une autre. Pour certaines catégories d’animaux et de plantes, il suffit même de se déplacer de quelques lieues pour voir se renouveler l’aspect des choses extérieures et des êtres vivans. L’acclimatation, c’est-à-dire l’adaptation des organismes aux exigences d’une patrie nouvelle, constitue une opération délicate, sujette à bien des mécomptes, et dont la difficulté même atteste combien les animaux et les plantes sont sensibles à l’influence des conditions extérieures. L’altitude rampante contractée par certains végétaux alpins, comme le genévrier de l’Himalaya et celui des Alpes, est certainement un effet de la rigueur du froid, dans ces hautes régions. Peu d’années suffisent pour produire la variété de froment crue l’on nomme blé de printemps. Le maïs apporté directement du Brésil est d’abord plus sensible au froid que les variétés européennes ; mais il acquiert, au bout de deux ou trois générations, le même degré de rusticité que celles-ci. Enfin beaucoup de plantes des plaines d’Europe présentent des variétés alpines que les meilleurs botanistes n’en séparent pas, et auxquelles il a suffi de vivre dans un milieu spécial pour revêtir des caractères différens. Si des plantes on passe aux animaux, l’influence des milieux est encore plus visible et plus prompte à se manifester. Les chiens européens dégénèrent dans l’Inde ; leurs instincts s’effacent, leurs formes s’altèrent ; le dindon change dans le même pays ; le canard domestique oublie de voler. Il serait facile de multiplier ces exemples. Nul doute que l’homme n’ait usé de ce moyen puissant pour produire les races, qui se sont ensuite consolidées sous ses yeux par la sélection et l’hérédité. On ne saurait douter non plus que de légers changemens n’aient été dans la plupart des cas le point de départ des races les plus accentuées et les plus fixes. Ces races, une fois devenues permanentes, n’ont pas tardé à supplanter les individus dépourvus des qualités reconnues avantageuses qui, chez elles, n’avaient cessé de s’accroître à chaque génération. M. Darwin fait observer avec quelle rapidité les bœufs courtes-cornes ont éliminé leurs concurrens à longues cornes, et les porcs de race améliorée les anciennes races porcines, dès que l’infériorité de celles-ci a été reconnue. Cependant, quelle que soit l’influence décisive des circonstances extérieures sur l’organisme, celui-ci, loin de subir d’une façon passive les changemens qui se manifestent en lui, les coordonne et les fait servir à l’exécution d’un plan général, par lequel l’harmonie de l’ensemble se maintient sans altération à travers les changemens les plus radicaux en apparence.