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seule cellule, sauf à la multiplier ensuite. Il est vrai que, lorsqu’on attribue à chaque cellule la propriété d’émettre des gemmules capables de la reproduire, cette supposition est entièrement gratuite par elle-même. Elle n’est pas cependant dénuée de toute probabilité, si l’on considère combien la nature tend au fractionnement et à la multiplicité des parties élémentaires à mesure que l’on pénètre dans les profondeurs de l’organisme. L’ovulation, dont la reproduction cellulaire ne serait qu’une image, atteint à des nombres très considérables chez les êtres inférieurs, et, si l’on s’étonne de la prodigieuse quantité de gemmules dont l’hypothèse de M. Darwin a besoin pour fonctionner, la surprise diminue dès qu’on songe aux 6,800 œufs de la morue, aux 64,000 des ascarides, enfin au million de graines d’une seule capsule d’orchidée. Le nombre des ovules tendant à s’accroître à mesure que l’on descend la série des êtres, il n’y aurait rien d’improbable à ce que les gemmules de l’unité cellulaire, s’il en existe de telles, soient produites dans une proportion pour ainsi dire incalculable. La ténuité presque infinie de ces gemmules en expliquerait la dissémination à travers l’organisme, ainsi que la circulation au moyen des fluides.

On conçoit que, ces prémisses une fois concédées, l’hypothèse marche d’elle-même. Les gemmules accumulées dans l’intérieur des corps vivans donneraient raison de tous les phénomènes de l’hérédité. de la transmission et de. la modification des caractères, de l’apparition de ceux-ci à un moment déterminé. Les évolutions de gemmules rendraient aussi bien compte de la croissance ou développement normal et continu que des métamorphoses et des métagénèses, c’est-à-dire des changemens rapides qui s’opèrent dans l’organisme tout entier. Dans la métamorphose, les nouveaux organes se moulent sur les anciens, dont ils se détachent comme d’une enveloppe ; dans la métagénèse, il semble qu’une vie nouvelle lasse germer sur des points distincts des précédens des organes tout à fait indépendans et n’ayant rien de commun avec ceux de la période qui se termine. Les cirrhipèdes, à l’époque de leurs derniers changemens, acquièrent des yeux nouveaux qui se montrent sur une autre partie du corps que les autres. Plusieurs échinodermes, dans la seconde phase de leur développement, naissent d’un bourgeon apparu dans l’intérieur du premier animal, qui est ensuite rejeté tout entier. La génération sexuelle ne serait elle-même qu’un mode particulier de bourgeonnement, et n’en différerait en réalité que par la nécessité de l’union de deux élémens distincts ; mais chacun de ces élémens correspondrait à l’ensemble de l’être qu’il représenterait : ce serait toujours des agrégations de gemmules, susceptibles des deux parts de reproduire l’individu dont elles proviennent, mais trop faibles pour y parvenir isolément et sans une combinaison préalable. Cette