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naissances et la mortalité pendant le bas âge ; les missionnaires devraient porter toute leur attention sur ce point si important.

C’est dans le district de Maros, un peu au nord de Macassar, que M. Wallace s’installa pour quelque temps afin d’étudier à son aise la faune du pays. On lui avait bâti une hutte dans la forêt, et le souvenir de ce séjour est resté pour lui un des plus agréables de son voyage. « Quand je prenais mon café à six heures du matin, dit-il, je voyais souvent des oiseaux rares s’arrêter sur quelque arbre voisin ; je me précipitais dehors en pantoufles, et je faisais plus d’une fois des captures que je guettais depuis des semaines. Les grands calaos de Célèbes (buceros cassidix) venaient bruyamment se poser sur la cime d’un arbre élevé que j’avais devant ma porte ; les babouins noirs regardaient avec étonnement du haut de leurs branches l’intrus qui venait troubler cette solitude ; pendant la nuit, des troupeaux de petits cochons sauvages rôdaient autour de la maison et dévoraient tout ce qui était attaquable aux dents. En quelques minutes, au lever de l’aurore ou du crépuscule, je ramassais plus de scarabées sous les troncs d’arbres qui jonchaient le sol que je n’en aurais trouvé en leur faisant la chasse pendant toute une journée, et je pus ainsi utiliser des momens de loisir qui eussent été perdus dans un endroit plus habité. Autour du palmier à sucre (arenga saccharifera), qui fournit du sucre et du vin, les mouches sont toujours rassemblées par milliers, et lorsque j’avais une demi-heure devant moi, j’y faisais des razzias qui n’ont pas peu contribué à embellir mes collections. » On comprend sans peine les jouissances qu’un naturaliste passionné doit éprouver au milieu d’une nature si riche et encore si peu connue, où chaque heure apporte une découverte, où chaque pas mène à un trésor. Il arrive à M. Wallace de parler de ses captures avec une émotion rétrospective qui trahit la vocation. Dans l’île de Batchian, une des Moluques, il avait aperçu pendant l’une de ses promenades un énorme papillon de la famille de ces ornithoptères aux ailes garnies de plumes qui sont l’orgueil des tropiques d’Orient. C’était une femelle, et M. Wallace ne parvint pas à s’en emparer ; mais il put juger, d’après ce spécimen, que le mâle devait être d’une extrême beauté. Pendant deux mois, il n’avait point revu un seul exemplaire de cette espèce, lorsqu’un beau jour il découvrit encore la femelle sur un arbuste à fleurs jaunes. Elle s’envola ; mais le lendemain, retournant à la même place, il réussit à la prendre dans son filet, et le jour suivant il eut le mâle. « C’était, comme je m’y attendais, une espèce tout à fait nouvelle et l’un des plus splendides papillons du monde entier. D’une aile à l’autre, le mâle mesure près de vingt centimètres ; il est noir velouté et feu, cette dernière couleur remplaçant le vert de l’espèce parente. La beauté et l’éclat de cet insecte sont