Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 83.djvu/706

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comparable à l’effet que produisent chez nous les genêts, les bruyères, les jacinthes sauvages, l’aubépine, l’orchis et les boutons-d’or. »

Deux des arbres les plus importans de la région austro-malaise sont l’arbre à pain et le sagoutier. Le premier n’est pas très abondant, parce que la culture fait avorter les graines, de sorte qu’on ne peut le propager que par bouture. Le fruit a la grosseur du melon ; un peu fibreux vers le centre, il est partout ailleurs tendre et pâteux. On le fait cuire sous la cendre et l’on fouille l’intérieur avec une cuillère. Le goût rappelle le pouding du Yorkshire, ou bien des pommes de terre au lait. Accommodé avec de la viande ou du jus, c’est le plus agréable des légumes ; avec du sucre, du lait, du beurre ou de la mélasse, c’est un pouding délicieux d’un goût particulier ; il a cela de commun avec le pain et les pommes de terre qu’on ne s’en lasse jamais. Peut-être finira-t-on par en trouver sur nos marchés européens. Le sagoutier, qui est surtout cultivé dans l’île de Céram, fournit également une nourriture très abondante et très peu coûteuse. On l’abat peu de temps avant la floraison, on le débarrasse de ses feuilles, et on retire la moelle du tronc par une entaille longitudinale. La matière brute est lavée à grande eau afin d’en extraire la fécule qu’elle contient, et l’amidon rougeâtre que l’eau dépose est moulé en pains cylindriques. On mange le sagou cuit au sel ou bien sous forme de gâteau. Un arbre de bonne taille produit d’ordinaire 30 pains de sagou brut, du poids de 15 kilogrammes, et chaque pain donne à la cuisson 60 gâteaux ; un seul arbre peut donc fournir 1,800 gâteaux, quantité suffisante pour nourrir un homme pendant une année, à raison de cinq gâteaux par jour. Or le travail nécessaire pour convertir un sagoutier en nourriture est très peu de chose ; deux hommes mettent environ cinq jours à le dépouiller, et cinq autres jours à transformer la fécule en gâteaux, s’ils ne préfèrent pas la garder en nature. Ainsi dix jours suffisent amplement à préparer la nourriture d’un homme pour toute une année, et vingt jours pour deux hommes ; il reste aux naturels trois cent quarante-cinq jours à passer dans une oisiveté généralement absolue ; lazzaroni des tropiques, ils se contentent d’un misérable abri, ne vivent que de sagou et d’une petite espèce de poisson. Ceux qui ne possèdent pas eux-mêmes quelques sagoutiers, peuvent s’en procurer un pour une somme de 8 ou 9 francs, et comme la journée de travail vaut 50 centimes, la nourriture d’un homme revient à environ 15 francs l’année. Cette facilité de la vie a pour conséquence l’incurie la plus complète ; les indigènes sont bien plus avancés sous tous les rapports dans les îles où l’on travaille davantage pour gagner son existence. A Céram, patrie du sagoutier, les habitans sont encore à très peu près à l’état primitif ; ils vont nus, sauf quelques bracelets