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et de petits bâtons dans les oreilles. Quelques-uns se disent chrétiens ; mais c’est la pire engeance du monde, tous ivrognes et voleurs : on leur préfère de beaucoup les mahométans, auxquels leur religion commande au moins la tempérance.

L’un des épisodes les plus curieux du séjour de M. Wallace dans l’archipel de la Sonde est le voyage qu’il fit de Macassar aux îles Arrou à bord d’une praou frétée par un Javanais demi-sang. Il avait vu à Macassar pendant trois mois le soleil se lever tous les jours comme un globe de feu et se coucher de même, sans que l’apparence d’un nuage vînt en voiler les ardeurs ; mais au commencement de décembre le ciel se couvrit, et tout changea d’aspect : la saison de l’eau allait succéder à la saison du feu. Pour échapper à la perspective de cinq mois de pluies continues, M. Wallace songeait à transporter ailleurs ses trésors et son attirail de naturaliste, lorsqu’il apprit qu’une embarcation allait partir pour les petites îles situées au sud de la Nouvelle-Guinée.

Macassar est l’un des principaux marchés du trafic indigène ; à côté du riz et du café que produit le pays, on trouve dans les magasins le rotin de Bornéo, le bois de sandal et la cire d’abeilles de Florès et de Timor, le tripang du golfe de Carpentarie, l’huile de cajepout de Bourou, la muscade et les autres produits de la Nouvelle-Guinée ; mais plus important que tout cela est le commerce avec les îles Arrou, qui envoient aux Célèbes leurs perles, leur nacre et leur écaille, sans compter les nids de salanganes et le tripang, espèce d’holothurie, dont les gastronomes chinois font leurs délices. Le commerce avec ces îles existe depuis un temps immémorial ; c’est de là aussi que sont venus en Europe les premiers oiseaux de paradis. Les moussons ne permettent ce voyage aux barques indigènes qu’une fois par an ; elles quittent Macassar en décembre ou janvier avec la mousson d’ouest, et reviennent en août ou en juillet par la mousson d’est. Même pour les gens du pays, le voyage des îles Arrou est une expédition aventureuse, et l’avoir faite est un titre à la considération générale. M. Wallace avait longtemps rêvé plutôt qu’espéré de visiter un jour cette ultima Thule de l’Orient, et lorsqu’il se vit près de satisfaire ce désir, il ne put se défendre de quelque appréhension en songeant qu’il allait se confier pour un voyage de six ou sept mois à un frêle navire monté par de féroces sauvages.

Le capitaine de l’embarcation était un homme de manières très douces et d’une certaine instruction. Il était marié à une jeune Hollandaise et bien connu dans l’archipel entier, qu’il parcourait sans cesse. Son navire était une praou malaise d’environ 70 tonneaux ; assez semblable d’aspect à une jonque chinoise. L’avant-proue est