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fructueuse ; en attendant que cette espèce se reproduise, les baleiniers peuvent s’adresser à une foule d’autres qui encombrent les mers : ce sont la humpback, la sulfur-botton, la jubarte, la finback) dont j’ai rencontré des gammes très populeuses, notamment dans les mers du cercle polaire arctique, et qui donneraient des bénéfices tout aussi considérables. Quelques armateurs ont essayé de s’exercer contre ces espèces, et n’ont pas réussi. C’est que ces baleines sont d’une prise beaucoup plus difficile ; elles ont des mouvemens plus rapides, de plus elles sont si timides qu’il est rare qu’on puisse les approcher d’aussi près que les baleines franches et alors le harpon, lancé de trop loin, n’a plus assez de force pour entrer assez avant dans les chairs ; « il ne mord pas. » D’un autre côté, ces espèces, soit en raison de leur maigreur relative, soit à cause de leur constitution anatomique, comme la baleine à ventre plissé par exemple, ont une densité telle qu’aussitôt qu’elles ne respirent plus, elles sombrent, et les pêcheurs les désignent toutes sous le nom caractéristique de « baleines de fond. »

Fallait-il, devant ces difficultés, renoncer à pêcher la baleine ? Il s’agissait tout simplement de trouver de nouveaux engins, car il est à remarquer que sous ce rapport on en est encore au harpon primitif. Ce double problème se posait donc devant les baleiniers : trouver un engin qui pût frapper à distance, et qui empêchât la baleine de sombrer. Plusieurs tentatives ont été faites dans ce sens. En les examinant, on peut dire qu’elles réalisent un certain progrès ; mais nous sommes dans une période de transformation, et l’amélioration désirée n’a pas été atteinte. Il n’est pas un seul des moyens proposés qui ait obtenu un succès décisif. On le sait, la phase la plus dangereuse de la pêche à la baleine commence au moment où le cétacé vient d’être amarré. C’est alors en effet qu’il faut s’approcher de ce puissant animal, le prendre, pour ainsi dire, corps à corps, et le tuer à bout portant, à coups de lance. Quoique la vitalité de la baleine ne soit pas en rapport avec ses immenses proportions, elle est assez grande cependant pour faire durer la lutte et entraîner les accidens les plus graves. L’idée vint d’empoisonner la baleine. Le premier engin de ce genre est dû à Ackermann. C’est une lance ordinaire ; la tige offre une cavité dans laquelle on met du cyanure de potassium, et qui se ferme au moyen d’une coulisse munie d’un verrou vertical. Lorsque la lance pénètre dans le corps du cétacé, le verrou, placé à la naissance de la tige, trouvant un point d’appui, fait résistance, la cavité s’ouvre, et le poison se répand dans la plaie. Quelques baleiniers m’ont déclaré que cet engin aurait rendu de grands services, si le poison avait été énergique ; mais la plupart du temps il était avarié, et ne produisait presque pas d’effet.