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I

Pour que notre essai de solution présente quelque intérêt, il est indispensable de savoir comment se pose le problème, et de quelles difficultés cette solution est entourée. Deux catégories de personnes pourraient être disposées à les méconnaître. Il y a d’abord les esprits que le recours au surnaturel, l’hypothèse du miracle, satisfait, et qui de prime abord se contentent de penser que la religion du peuple juif revenu de Babylone est la reproduction exacte de celle que leurs ancêtres devaient depuis des siècles à leur législateur Moïse, lequel l’avait reçue directement de Dieu et l’avait déposée dans le Pentateuque. D’autres, qui ne peuvent prendre un miracle quelconque pour l’explication d’un fait obscur, croient avoir trouvé le mot de l’énigme : ils inclinent à voir dans la religion, relativement très élevée, du Pentateuque rédigé par Moïse un emprunt aux croyances déjà raffinées de la vieille Égypte. Ces derniers reculeraient donc la difficulté dans l’histoire comme les premiers la rejettent dans le ciel. Les uns et les autres oublient une circonstance fort grave et qui ruine de fond en comble leurs théories, c’est que la question est précisément de savoir quelle fut au juste la religion enseignée par Moïse. Rien de plus facile en effet que de prouver à quiconque ne se soumet pas de parti-pris à l’autorité des traditions que le Pentateuque ne remonte pas, et bien s’en faut, à l’époque de la sortie d’Égypte. Non-seulement il raconte la mort de Moïse, — et remarquons en passant que le prestige des traditions doit être bien aveuglant pour qu’on ait pu si longtemps attribuer à un homme le livre où sa mort est racontée, — mais de plus il est rempli de détails qui démontrent d’une manière irréfutable : 1° que les cinq livres dits de Moïse contiennent des documens de différentes dates et de tendances variées ; 2° qu’à part quelques lois qui peuvent prétendre à une antiquité très reculée, mais dont la date ne peut être rigoureusement fixée, les plus anciens documens qui s’y trouvent amalgamés ne remontent pas au-delà de l’établissement de la monarchie en Israël ; 3° que l’histoire du peuple hébreu depuis son établissement en Canaan jusqu’à la captivité de Babylone n’est qu’un tissu de paradoxes, s’il faut admettre qu’au moment où il se fixa dans la région du Jourdain il était en possession des institutions politiques, civiles et religieuses dont le Pentateuque fait remonter l’établissement à Moïse. Nous ne chargerons pas notre exposition des détails techniques dont la longue liste se trouve dans les ouvrages spéciaux d’introduction à l’Ancien-Testament. Il nous suffira de rappeler que le Pentateuque lui-même ne se donne nulle part pour