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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 83.djvu/852

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reste à peu près inévitable. En face de la Hongrie unie, la Cisleithanie, déchirée par les rivalités des Slaves et des Allemands, sera trop faible pour résister à la prépondérance des Magyars, fortifiés par un changement complet d’attitude de la part des Slaves cisleithaniens[1]. Jusqu’à présent, les Polonais, les Tchèques surtout, s’étaient montrés très hostiles aux Hongrois, parce que le parti Deak avait imposé le dualisme à l’empire, tandis qu’ils voulaient, eux, le fédéralisme ; mais en ce moment ils sont prêts à reconnaître aux Magyars leur position indépendante, pourvu que ceux-ci les appuient afin d’arracher aux Allemands et au ministère la reconnaissance de leur autonomie nationale. La Cisleithanie ne tarderait pas alors à se transformer en un état fédéral relié à la Hongrie par la simple union personnelle, c’est-à-dire par l’identité du souverain. Les Allemands perdraient inévitablement, sous l’effort de cette coalition des autres races jusqu’à présent divisées, la suprématie qu’ils ont su garder si longtemps. Sans doute ils conserveraient d’abord l’influence morale que leur assurent un degré supérieur d’instruction et des relations plus intimes avec le foyer de lumières de la civilisation germanique ; mais peu à peu l’axe se déplacerait. La direction politique passerait aux Tchèques et aux Magyars. L’empire deviendrait un état slave, comme l’avait prévu et même voulu un moment Joseph II : grande révolution qui peut changer la physionomie de l’Autriche et de toute l’Europe orientale.


II

Nous venons de voir en quoi consiste la question polonaise dans la Galicie. Elle peut se résumer ainsi. Les Polonais ne se regardent comme soumis à l’Autriche par aucun lien légal ; ils veulent donc sortir un jour de l’empire et reconstituer la Pologne dans ses anciennes limites ; pour arriver à ce but, ils réclament leur autonomie, une constitution fédérale de la Cisleithanie, et ils s’apprêtent à faire

  1. Les sympathies que les Polonais de la Galicie ont récemment manifestées pour les Hongrois ont fait croire à certaines personnes que la Galicie songeait à s’unir aux pays de la couronne de saint Etienne dans l’espoir de trouver meilleur accueil pour leurs réclamations de l’autre côté de la Leitha. C’est une erreur. Les Polonais ne demandent pas à s’unir avec la Transleithanie, parce qu’une telle annexion, librement consentie, équivaudrait à une validation de l’acte de partage de 1772. L’Autriche avait fait valoir à cette époque un prétendu droit de la couronne de Hongrie sur la Galicie, résultant de ce que le royaume de Halicz (Galicie), principauté ruthène, avait élu comme souverain, en 1218, le roi hongrois Koloman, alors mineur, qui bientôt après, en 1226, perdit cette nouvelle possession. Les Polonais, comme les Hongrois, ont l’esprit légiste, et se préoccupent des traditions historiques. Ils ne voudraient pas ratifier l’union de 1218 pas plus que la conquête de 1772. Soutenir les Magyars, mais sauvegarder leur indépendance, telle est leur politique.