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ne répond mieux aux besoins de l’état social qui s’établit aujourd’hui en Europe. La fédération respecte la vie locale, permet à chaque groupe de se développer conformément à ses aptitudes, à ses traditions, et en même temps elle procure à l’ensemble la force dont disposent les grands empires. Elle est faible pour l’attaque, mais invincible pour la défense, pourvu qu’elle soit démocratique. La Pologne, si forte jusqu’au XVIIe siècle, a succombé ; les nobles seuls étaient citoyens. La petite Suisse a été attaquée longtemps par l’Autriche, puis par le duc de Bourgogne, le plus puissant des souverains de l’époque. Elle a écrasé ses ennemis ; c’est que tous, paysans et pâtres, avaient une patrie à défendre. Supposez côte à côte l’empire russe avec ses 80 millions d’âmes, et la fédération américaine, qui n’en compte que la moitié. Qui ne voit qu’en cas de lutte l’état despotique serait brisé comme verre au premier contact de la république anglo-saxonne ? Si l’on parvient à créer des Autrichiens, c’est-à-dire des citoyens dévoués à l’Autriche parce qu’ils s’y sentent libres, heureux, honorés et l’aimant à moitié autant que les Polonais et les Hongrois aiment leur patrie, aussitôt la Russie cesse d’être à craindre. La centralisation a fait son temps, les peuples n’en veulent plus ; c’était l’arme du despotisme pour la compression et la conquête. L’Espagne à grands cris réclame la fédération. L’Italie cherche, le meilleur moyen de l’organiser. La France même, où la centralisation était cette admirable machine administrative « que l’Europe, disait-on, lui enviait, » et où les plus ardens défenseurs des droits du peuple avaient fait du fédéralisme un crime digne de l’échafaud, la France cherche à rendre plus de vie locale, plus d’indépendance aux provinces, trop longtemps asservies par le pouvoir central. L’Autriche en adoptant le fédéralisme ne ferait donc que prendre le régime auquel aspirent tous les peuples de l’Europe. Seulement les pays qui constituent l’empire doivent accepter la fédération dans la forme moderne inaugurée par les États-Unis, et renoncer à la prétention rétrograde de rétablir la fédération du moyen âge, comme le veut la diète de Lemberg. Qu’on remarque bien cette différence radicale. Presque tous les états autrefois étaient fédératifs. En Espagne comme en France, dans les Pays-Bas comme en Autriche, l’état se composait de provinces ayant chacune le droit de n’accepter de lois que celles qu’elles avaient votées, de ne payer d’impôts que ceux qu’ils avaient consentis. La Navarre et l’Aragon, la Bretagne et le Languedoc, le Brabant et les Flandres, la Bohême et la Hongrie, formaient autant de corps indépendans, ayant leur autonomie, que le pouvoir central devait respecter, en théorie du moins. Même dans les pays où il y avait une assemblée de représentans appelée états-généraux, les députés de chaque province